Le passé nazi de l’Ukraine et ses conséquences présentes

par Jean-Guy Rens

Montréal

19 mars 2022

Radio Canada International avait mis en ligne en août 2018 un article analysant le passé nazi du nationalisme ukrainien et le refus des autorités gouvernementales d’y faire face (texte intégral). Cet article vient d’une source inattaquable car il a été écrit bien avant la guerre actuelle et, qu’au demeurant, la radio canadienne a toujours manifesté une grande sympathie à l’égard de la cause ukrainienne.

L’historien ukrainien interrogé par les journalistes de la radio d’État admet que certaines exactions aient pu être commises par des nationalistes ukrainiens au cours de la deuxième Guerre mondiale – dans l’article de Radio Canada International, il passe sous silence la nature de ces exactions. Par contre, sur la même lancée, il déplore avec force que le gouvernement russe cherche à utiliser le passé de façon polémique. Cette manière d’exonérer un crime par la crainte de céder du terrain à un adversaire, est typique du comportement dominant en Ukraine.

C’est ainsi que dans les années 2000, le gouvernement de Kiev nouvellement indépendant a élevé les chefs ukrainiens nazis de la deuxième Guerre mondiale, Stepan Bandera et Roman Choukhevytch au rang de « héros nationaux ». Un monument à la mémoire de Stepan Bandera a même été construit à Lviv. Signalons que quelques années auparavant le Congrès ukrainien canadien érigeait à Edmonton (Alberta) une statue à la gloire de Roman Choukhevytch avec la contribution financière du gouvernement fédéral (voilà pourquoi Radio Canada International consacre un article à la question du nazisme en Ukraine).

Peu après son élection en 2010, le président russophile Viktor Ianoukovytch a annulé la loi qui faisait de ces deux hommes des héros nationaux. Or, nous savons ce qui est arrivé à Ianoukovytch: il a été renversé par un coup d’État fomenté par les démocrates ukrainiens, avec l’appui des Occidentaux. Mais pourquoi le gouvernement ukrainien avait-il, dans un premier temps, tenu à commémorer des personnages aussi détestables? C’est d’autant plus inadmissible que les crimes commis par Stepan Bandera et Roman Choukhevytch vont bien au-delà des simples exactions à l’encontre des Juifs, des Polonais et des Russes.

Rôle des nazis ukrainiens dans le massacre des Polonais et des Juifs

Les deux hommes ont créé en 1941 le bataillon Nachtigall (rossignol) qui fut la première unité étrangère de la Wehrmacht. À ce titre, ils ont dirigé le massacre des professeurs polonais de la ville alors appelée Lwow (aujourd’hui Lviv). Il s’agissait d’éliminer l’intelligentsia polonaise. Les Allemands avaient remis aux Ukrainiens la liste nominative des professeurs à éliminer. Ce qui fut fait. Au nombre des morts se trouve l’écrivain polonais Tadeusz Żeleński (sans rapport avec le président ukrainien du même nom)[1]. Après avoir accompli cette tâche, les hommes du bataillon Nachtigall effectuèrent un pogrom qui n’avait pas été demandé par leurs maîtres allemands. C’était une initiative spontanée.

Quelques mois plus tard, quand le massacre des Juifs commencera à grande échelle, les soldats allemands ne tarderont pas à donner des signes de fatigue mentale. Le haut commandement classa alors les victimes en deux : les hommes qui continuèrent à être assassinés par les Allemands, tandis que les femmes et les enfants furent confiés aux auxiliaires ukrainiens. Sous les ordres de Roman Choukhevytch, ces dernières participèrent au massacre de Babi Yar qui est resté dans l’histoire comme le plus grand massacre de la Shoah par balles. Les Allemands abattaient les hommes, les Ukrainiens, les femmes et les enfants.


[1] Médecin et écrivain, poète et critique littéraire, mais aussi traducteur, Tadeusz Żeleński qui signait Boy-Żeleński, a traduit des centaines d’œuvres françaises en polonais. Amoureux de la culture française, il a réintroduit la culture française en Pologne. Certains l’ont qualifié de “Shakespeare de la traduction”.

Séquelles actuelles du nazisme ukrainien

Voilà pour le passé ou, tout au moins, une petite partie de ce passé que ne précise pas l’article de Radio Canada International. De même, si l’article évoque en détail la tentative de réhabilitation de Stepan Bandera et Roman Choukhevytch dans les années 2000, il ne mentionne pas la principale séquelle de leur héritage direct qui est la création du régiment Azov en mai 2014 pour lutter contre les séparatistes pro-russes du Donbass. Financée par l’oligarque Igor Kolomoisky, propriétaire du réseau électrique ukrainien, qui détient également un passeport chypriote et israélien, cette formation paramilitaire se réclame ouvertement du nazisme dont elle porte les insignes.

Le régiment Azov a été fondé par Andreï Biletsky, un historien de formation qui est toujours au centre d’un écheveau d’associations et de regroupements politiques aux appellations changeantes, mais qu’on désigne globalement comme le mouvement Azov. Longtemps député indépendant à la Rada, Andreï Biletsky a brièvement été vice-président de la commission de la sécurité nationale et de la défense. La mouvance Azov n’a jamais dépassé le seuil des 2% de votes à l’échelle nationale. Andreï Biletsky lui-même a été battu aux élections de 2019.

Le régiment Azov a par la suite été intégré dans la garde nationale ukrainienne. À la faveur de cette intégration, le régiment Azov a pu bénéficier de la formation de l’armée américaine au même titre que le reste des forces armées ukrainiennes. Malgré cela, le régiment Azov réussit à préserver sa spécificité et son idéologie. Il le fit de manière si ostentatoire que le Congrès américain intervint en juin 2015 pour faire cesser tout lien entre l’armée américaine et le régiment Azov. Cette manifestation de fermeté ne dura pas puisqu’un an plus tard ce même Congrès abolit en douce la mesure de suspension et l’armée américaine put reprendre l’assistance militaire à la formation nazie.

Insigne officiel du régiment Azov

Un rapport de 2016 du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (OCHA) a accusé le régiment Azov de violer le droit humanitaire international. Le rapport a détaillé des incidents sur une période allant de novembre 2015 à février 2016, au cours desquels le régiment Azov a pillé de nombreux édifices commerciaux et résidentiels, chassé leurs occupants et torturé des détenus dans la région de Donbass[1].

Aujourd’hui, le régiment Azov compte de 3 500 à 5 000 combattants basés dans la ville portuaire de Marioupol[2]. À la faveur de la guerre actuelle entre la Russie et l’Ukraine, le recrutement bat son plein et il est impossible de savoir le nombre exact de ses effectifs.

Comment expliquer le comportement ambigu des dirigeants ukrainiens?

En résumé, il est exact de considérer, à l’instar du discours dominant dans les médias occidentaux, que l’Ukraine n’est pas un pays dominé par les nazis sous quelque forme que ce soit. Le prétexte invoqué par le président russe Vladimir Poutine pour envahir l’Ukraine, à savoir dénazifier ce pays, est un mensonge opportuniste.

Mais comment expliquer la célébration des héros nazis de la deuxième Guerre mondiale et, bien au-delà de la simple tolérance, la connivence qui existe entre le gouvernement et le régiment Azov? Si l’influence était nulle, pourquoi les autorités ukrainiennes n’ont-elles pas tout simplement déboulonné pas la statue de Stepan Bandera à Lviv? Pourquoi continuent-elle à donner des noms de rue à Stepan Bandera et à Roman Choukhevytch dans plusieurs villes d’Ukraine? Pourquoi, surtout, acceptent-elles les voyous nazis du régiment Azov dans les rangs des forces armées?

Monument Stepan Bandera à Lviv

Les frontières sont poreuses entre le nazisme de la deuxième Guerre mondiale et le nationalisme ukrainien actuel. La lutte passée des nazis ukrainiens contre les Russes soviétiques, excuse toutes les horreurs perpétrées contre les Juifs, les Polonais et, bien sûr, les Russes. Quand on prend prétexte des origines juives du président Volodymyr Zelensky pour estimer qu’il n’y a pas de nazis en Ukraine, on trompe les gens sciemment. Les gouvernements occidentaux savent très bien qu’il y a des éléments nazis dans l’armée ukrainienne puisque cela a fait l’objet d’un débat au Congrès américain.

Le nationalisme ukrainien a besoin de faire un aggiornamento radical et de couper les liens qui l’unissent encore à la mémoire nazie de la deuxième Guerre mondiale. Les États européens demandent depuis des années à la Turquie de reconnaître le génocide des Arméniens. La Chine et la Corée du Sud demandent depuis des années au Japon de reconnaître les massacres de masse et les viols systématiques commis durant la deuxième Guerre mondiale. Il n’y a aucun raison d’être moins regardant à l’égard de l’Ukraine.

À moins qu’une certaine russophobie entretenue par les faucons de Washington et leurs alliés de l’OTAN ne conduise à ériger l’Ukraine en nation angélique face à l’impérialisme bien réel de la Russie. Tout se passe comme si un petit groupe de dirigeants occidentaux avait décidé de créer un grand brasier au cœur de l’Europe en désignant la Russie comme une puissance ennemie – ce qu’elle n’était certes pas au lendemain du démantèlement de l’URSS en 1991 – et en traitant l’Ukraine comme une nation propitiatoire échappant à tout examen critique.

Pendant ce temps, le président Zelensky n’a pas déplacé la statue de Stepan Bandera et il n’a pas dissous le régiment Azov.

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