1. Respecter la souveraineté de tous les pays. Le droit international universellement reconnu, y compris les buts et principes de la Charte des Nations Unies, doit être strictement observé. La souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de tous les pays doivent être effectivement garanties. Les pays, qu’ils soient grands ou petits, puissants ou faibles, riches ou pauvres, sont membres égaux de la communauté internationale. Les différentes parties doivent préserver ensemble les normes fondamentales régissant les relations internationales et défendre l’équité et la justice internationales. Il faut promouvoir une application égale et uniforme du droit international et rejeter le deux poids deux mesures.
2. Renoncer à la mentalité de la guerre froide. Il ne faut pas rechercher la sécurité d’un pays au détriment de celle des autres, ni garantir la sécurité d’une région par le renforcement voire l’expansion des blocs militaires. Les intérêts et préoccupations sécuritaires légitimes des différents pays doivent être pris au sérieux et traités de manière appropriée. Il n’y a pas de solution simple aux problèmes complexes. Toutes les parties doivent poursuivre la vision de sécurité commune, intégrée, coopérative et durable, garder à l’esprit la paix et la stabilité de long terme dans le monde, et promouvoir la construction d’une architecture de sécurité européenne équilibrée, effective et durable. Il faut s’opposer à ce qu’un pays recherche sa propre sécurité au prix de celle d’autrui, prévenir la confrontation des blocs, et œuvrer ensemble à la paix et à la stabilité sur le continent eurasiatique.
3. Cesser les hostilités. Les conflits et guerres ne font de bien à personne. Les parties doivent toutes garder la raison et la retenue, s’abstenir de mettre de l’huile sur le feu et d’aggraver les tensions, et prévenir une nouvelle détérioration ou même un dérapage de la crise ukrainienne. Il faut soutenir la Russie et l’Ukraine de sorte qu’elles travaillent dans la même direction pour reprendre au plus tôt un dialogue direct, promouvoir progressivement la désescalade de la situation et parvenir finalement à un cessez-le-feu complet.
4. Lancer les pourparlers de paix. Le dialogue et les négociations sont la seule solution viable à la crise ukrainienne. Tout effort en faveur du règlement pacifique de la crise doit être encouragé et soutenu. La communauté internationale doit poursuivre la bonne direction qui est de promouvoir les pourparlers de paix, aider les parties au conflit à ouvrir rapidement la porte qui mène au règlement politique de la crise, et créer des conditions et plateformes pour la reprise des négociations. La Chine continuera de jouer un rôle constructif dans ce sens.
5.Régler la crise humanitaire. Toute mesure en faveur de l’apaisement de la crise humanitaire doit être encouragée et soutenue. Les opérations humanitaires doivent se conformer aux principes de neutralité et d’impartialité et les questions humanitaires ne doivent pas être politisées. Il faut protéger effectivement la sécurité des civils et mettre en place des corridors humanitaires pour évacuer des civils des zones de conflit. Il convient d’accroître les aides humanitaires aux zones concernées, d’améliorer les conditions humanitaires, et de fournir un accès humanitaire rapide, sûr et sans entrave, en vue de prévenir une crise humanitaire de plus grande ampleur. Il faut soutenir l’ONU dans ses efforts pour jouer un rôle coordinateur dans l’acheminement des aides humanitaires dans les zones de conflit.
6.Protéger les civils et les prisonniers de guerre. Les parties au conflit doivent observer scrupuleusement le droit humanitaire international, éviter d’attaquer les civils et les installations civiles, protéger les femmes, les enfants et les autres victimes du conflit et respecter les droits fondamentaux des prisonniers de guerre. La Chine soutient l’échange de prisonniers de guerre entre la Russie et l’Ukraine et appelle les différentes parties à créer plus de conditions favorables à cette fin.
7.Préserver la sécurité des centrales nucléaires. La Chine s’oppose aux attaques armées contre les centrales nucléaires et les autres installations nucléaires pacifiques, et appelle les différentes parties à observer le droit international, y compris la Convention sur la sûreté nucléaire, et à prévenir résolument les accidents nucléaires d’origine humaine. La Chine soutient l’Agence internationale de l’énergie atomique dans ses efforts pour jouer un rôle constructif dans la promotion de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires pacifiques.
8.Réduire les risques stratégiques. Les armes nucléaires ne doivent pas être utilisées et la guerre nucléaire ne doit pas être menée. Il faut s’opposer à la menace ou l’emploi d’armes nucléaires. Il est impératif de prévenir la prolifération nucléaire et d’éviter les crises nucléaires. La Chine s’oppose à la recherche et développement et à l’utilisation des armes chimiques et biologiques par quelque pays que ce soit dans quelques circonstances que ce soient.
9.Faciliter l’exportation des céréales. Toutes les parties doivent appliquer de manière équilibrée, intégrale et effective l’Initiative céréalière de la mer Noire signée par la Russie, la Türkiye, l’Ukraine et l’ONU, et soutenir l’ONU dans ses efforts pour jouer un rôle important à cet égard. L’initiative de coopération sur la sécurité alimentaire mondiale lancée par la Chine offre une solution viable à la crise alimentaire mondiale.
10.Mettre fin aux sanctions unilatérales. Les sanctions unilatérales et la pression maximale n’aident pas à régler les problèmes et ne font que créer de nouveaux problèmes. La Chine s’oppose à toute sanction unilatérale non autorisée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies. Les pays concernés doivent cesser de recourir de manière abusive aux sanctions unilatérales et aux juridictions extraterritoriales contre les autres pays, jouer un rôle en faveur de la désescalade de la crise ukrainienne et créer des conditions favorables au développement économique et à l’amélioration du bien-être de la population des pays en développement.
11.Assurer la stabilité des chaînes industrielles et d’approvisionnement. Toutes les parties doivent préserver effectivement le système économique mondial existant, et s’opposer à ce que l’économie mondiale soit politisée ou utilisée comme un outil ou une arme. Il faut œuvrer ensemble à atténuer les effets de débordement de la crise pour qu’elle ne perturbe la coopération internationale en matière d’énergie, de finance, de commerce alimentaire et de transport ni ne compromette la reprise économique mondiale.
12.Promouvoir la reconstruction post-conflit. La communauté internationale doit prendre des mesures pour soutenir la reconstruction post-conflit dans les zones de conflit. La Chine est prête à accorder son assistance et à jouer un rôle constructif à cet égard3.
Source : Le Ministère des affaires étrangères de la République populaire de Chine. 24 février 2023, 09 :00
A l’occasion de l’anniversaire de l’attaque russe contre l’Ukraine, le Ministère des Affaires étrangères de la République populaire de Chine a rendue publique son initiative pour une solution politique du conflit.(1) En révélant son projet élaboré pour la paix, Pékin se positionne en tant que partie prenante aux décisions concertées touchant aux questions importantes de la politique mondial, tout en continuant la promotion de ses conceptions d’un monde multipolaire dans lequel la Russie aurait également sa place. Sans se laisser impliquer dans le conflit par son partenaire russe à un moment inopportun, la Chine n’est pas non plus prête à s’en distancer.
Dans les deux premiers paragraphes, Pékin donne son évaluation du conflit, soulignant les contradictions présumées des parties en conflit. Depuis des années, l’Ukraine proteste contre la violation de son intégrité territoriale consécutive à l’annexion par la Fédération de Russie, de la Crimée et depuis peu, des quatre oblasts de Donetsk, Louhansk, Zaporijjia et Kherson. Cependant l’intégrité territoriale évoquée à ce sujet par la Chine recouvre plus généralement la sienne propre, en clair, ses revendications concernant Taïwan et les eaux territoriales en mer de Chine orientale et méridionale. Pour ne pas avoir l’air de trop polariser sur l’Occident, le Ministère chinois des Affaires étrangères a également inclus dans le premier paragraphe une référence à l’égalité souveraine des Etats, ainsi que sa critique du double standard. La violation du premier principe est notamment critiquée par les Etats qui voient dans le soutien occidental aux «révolutions colorées» une ingérence dans leurs affaires intérieures. Traditionnellement, la Russie et la Chine reprochent à l’Occident de leur appliquer le régime «deux poids-deux mesures», se plaignant que lui-même se permette d’agir d’une façon qu’il n’accepterait jamais chez ses adversaires, selon la devise quod licet Iovi, non licet bovi (2). Attaque frontale classique contre les groupes qui, en Occident et notamment aux Etats-Unis, s’attribuent un rôle de leadership dans la politique mondiale, en revendiquant la primauté des Etats démocratiques sur tous les autres.(3) Par ailleurs la Chine en profite pour cautionner les revendications russes qui reviennent depuis des années sur la violation des principes d’indivisibilité territoriale de sécurité, y insistant de concert avec Moscou qui estime que les diverses étapes de l’élargissement de l’OTAN à l’est ont enfreint ce principe et conduit les anciens pays membres de l’Organisation du traité de Varsovie et les nouveaux membres de l’OTAN à assurer leur sécurité aux dépens de la Russie.
Les propositions chinoises font preuve de réalisme
A l’évidence, le Ministère chinois des Affaires étrangères admet que l’é tendue de la complexité des causes de l’actuelle guerre d’Ukraine est trop vaste pour qu’elle parvienne à une résolution rapide par le biais d’un accord de paix. Au cours des neuf dernières années, cette longue guerre a en outre engendré d’autres problèmes. Par conséquent, demander un accord de cessez-le-feu général est nettement plus réaliste. On a bien sûr aussitôt reproché à la Russie d’utiliser le cessez-le-feu dans le seul but d’un rétablissement de sa position militaire. Les Ukrainiens et leurs alliés européens sont toutefois eux aussi rompus à ces procédés: jusqu’à présent aucun argument convaincant n’est venu infirmer l’idée que la France, l’Allemagne et l’Ukraine n’auraient conclu les Accords de Minsk dans un objectif de gagner du temps pour préparer une résolution militaire au conflit.(4) A Pékin aussi, on est bien conscient du problème posé par les Accords de Minsk de 2014 et 2015, mélange de simples dispositions de cessez-le-feu avec des mesures politiques. Il faut toutefois s’attendre à ce qu’un cessez-le-feu stable, sur une ligne bien démarquée, quelle qu’elle soit, conduise à la consolidation de la situation de facto, ce qui n’est pas dans l’intérêt de l’Ukraine en particulier. L’appel à la reprise des pourparlers politiques (point 4 de la proposition chinoise) marque le réalisme dont fait preuve Pékin.
L’Occident se trouve hors du jeu
Jusqu’à présent, concernant un dialogue direct Ukraine-Russie, proposé par Pékin, c’est l’Ukraine qui renâcle. Le point 3 de la proposition chinoise, qui le souligne, montre la volonté de Pékin de n’accorder aucun rôle dans le processus de paix à l’Occident dans son entier. Le Président ukrainien Zelensky a visiblement vite compris cette issue se déclarant immédiatement prêt à discuter avec l’homme fort de la Chine, le Président Xi Jinping.(5) Autre problème urgent lié à la longueur et la brutalité de cette guerre, les conditions humanitaires. L’Ukraine et ses alliés européens tenteront bien entendu de s’appuyer sur ce point du plan de paix chinois pour dénoncer la Russie, mais la Chine ne devrait pas se laisser instrumentaliser. Pékin sait bien que la Russie va utiliser ce point pour tout reprocher à l’Ukraine. En associant, dans le point 8 de sa proposition, son refus de toute menace d’utilisation d’armes nucléaires à son opposition de principe à tout développement d’armes biologiques et chimiques, la Chine montre sa détermination à couper court à toute tentative d’instrumentalisation de l’une ou l’autre des parties.
Des voies ouvertes à tous
La référence à l’Initiative Black Sea Grains, visant au maintien des livraisons de céréales en provenance d’Ukraine, indique probablement que Pékin s’est concerté avec Ankara avant d’initier son plan de paix. Il est clair que les dirigeants chinois vont en profiter pour tenter d’en tirer un profit additionnel pour marquer des points auprès des Etats d’Afrique et d’Asie. Point 10, le refus de sanctions unilatérales doit être interprété comme une critique ouverte de l’Occident et constitue en même temps une pilule amère pour l’Ukraine qui, faute d’autres options d’action, opterait pour le maintien prolongé de sanctions aussi sévères que possible contre la Russie.(6) L’Ukraine n’a pourtant pas, ni actuellement, ni dans un avenir prévisible, le poids politique et économique nécessaire pour motiver d’autres Etats à agir dans ce sens, et encore moins pour les y contraindre. A Kiev, il faut s’attendre de manière réaliste à ce que les intérêts économiques de nombreux Etats les conduisent, un jour ou l’autre, à un maintien purement formel, quoique progressivement vidé de leur contenu, des sanctions économiques contre la Russie. Enfin, Pékin promeut ses propres intérêts économiques, notamment son Initiative Belt and Road, tout en sachant pertinemment qu’elle sert également les intérêts russes, car la Russie accorde une grande importance à son corridor de transport international nord-sud et n’a aucun intérêt à des blocages de quelque nature que ce soit.
La détermination de Pékin
Le rejet automatique du plan de paix chinois, présumé douteux, devra sans doute rapidement faire place à une évaluation plus réaliste.(7) Le secrétaire d’Etat américain Blinken se prépare apparemment déjà à une série laborieuse de visites qui le conduira dans plusieurs Etats d’Asie où il devra solliciter un soutien à ses propres plans.(8) On fera sans doute payer cher aux Américains et aux Européens le prix d’un soutien politique.(9) Il sera exclu que les responsables de la politique étrangère occidentale s’y présentent sous l’aspect riant du pap-gâteau au chéquier bien garni: le vent a décidément tourné. Ils endosseront désormais plutôt le rôle du quémandeur importun. D’un autre côté, Pékin est manifestement prêt à exercer une pression militaire pour faire aboutir son plan de paix, comme le montrent les diverses spéculations sur la livraison de drones et de munitions à la Russie.10 Discutable ou non, Pékin fera aboutir son plan de paix qui sert d’abord ses propres intérêts, et ce ne sont pas les sensibilités ukrainiennes qui l’arrêteront. Kiev, Bruxelles et Washington ne pourront échapper à un examen approfondi des propositions chinoises, d’autant plus que celles-ci ont déjà reçu le soutien d’acteurs importants sur l’é chiquier politique mondial et qu’elles avaient peut-être été convenues avec un autre acteur important, la Turquie. Avec l’initiative chinoise, l’Occident qui a fourni des armes à l’Ukraine en tant que moteur convaincu de l’é volution, se voit tout à coup rélégué au rôle d’acteur parmi d’autres, car Pékin ne tolèrera manifestement pas que ses propositions soient balayées d’un revers de main. Avec la proposition de paix chinoise, une porte est désormais également ouverte pour sauver la face en cas de changement de cap de la politique occidentale qui s’orienterait vers l’ouverture de discussions avec le mal-aimé du Kremlin, Vladimir Poutine. •
*Ralph Bosshard a étudié l’histoire générale, l’histoire de l’Europe de l’Est et l’histoire militaire. Il a suivi l’é cole de commandement militaire de l’EPFZ ainsi que la formation d’é tat-major général de l’armée suisse. Il a prolongé sa formation universitaire et militaire par des études linguistiques en russe à l’Université d’Etat de Moscou, ainsi qu’à l’Académie militaire de l’Etat-major général de l’armée russe. C’est un expert reconnu de la situation en Europe de l’Est suite à aux fonctions qu’il a occupées pendant six ans à l’OSCE comme Conseiller spécial du représentant permanent de la Suisse.
Note du responsable du blog La paix mondiale menacée.
Nous reproduisons ici l’analyse d’un général connu pour son positionnement d’extrême droite, bien éloigné de notre propre engagement. La raison en est que ce document nous paraît être d’une remarquable perspicacité politique et stratégique et même d’une exceptionnelle qualité morale dans un contexte général marqué par un bellicisme quasiment généralisé des médias et de l’opinion publique des pays occidentaux. D’une façon générale, en période de crise, il n’est pas rare que les étiquettes politiques traditionnelles perdent leur qualité de repères fiables.
IR
Au Président de la République et à son gouvernement, aux représentants de la nation et au peuple français.
Un an tout juste après l’agression de l’Ukraine par la Russie et alors que ce conflit semble s’enliser, il faut bien admettre que les risques d’embrasement et de débordement au-delà du territoire ukrainien deviennent très sérieux aujourd’hui du fait du soutien massif de Kiev décidé par l’OTAN, notamment en matière de matériel militaire lourd, qui pourrait conduire les dirigeants russes à considérer cette démarche comme belliqueuse à leur égard. Les pays européens, membres de l’OTAN, traités de ce fait comme co-belligérants seraient donc en première ligne et potentiellement sous la menace directe de frappes de représailles, ce qui déclencherait une phase nouvelle de cette guerre qui deviendrait incontrôlable. Il ne sert à rien de clamer qu’il ne s’agit pas de co-belligérance pour tenter de s’en convaincre. En effet, c’est la guerre, et si les Russes considèrent qu’il s’agit de co-belligérance, cette co-belligérance sera considérée comme telle avec ses conséquences.
La situation est donc extrêmement grave et préoccupante, et la responsabilité des dirigeants européens est immense dans la tournure que pourrait prendre ce conflit, pour l’instant encore, contenu géographiquement.
Les dernières déclarations du Président de la République, engageant la France, lors de la conférence sur la sécurité qui s’est tenue à Munich, ne sont d’ailleurs pas de nature à faire baisser la tension. Refuser d’engager le dialogue avec la Russie qui contrôle à ce stade environ 20 % du territoire ukrainien et pousser à sa défaite d’une part, et laisser croire que l’Ukraine serait en capacité d’imposer ses conditions dans une négociation qui surviendrait après une hypothétique contre-offensive victorieuse d’autre part, relève d’un déni de réalité qui pourrait être catastrophique et dramatique pour l’Ukraine et les pays européens. Il est encore temps d’arrêter le massacre !
C’est pourquoi j’appelle le Président de la République et le gouvernement à un sursaut inspiré par la raison. Avoir servi la France sous l’uniforme pendant une quarantaine d’années m’en donne aujourd’hui le droit, sinon le devoir. Car la politique et la géopolitique se fondent sur des réalités et non sur des fantasmes ou sur l’émotion. Et les réalités internationales en 2023, confirmées s’il en était besoin par ce conflit en Ukraine, sont représentées par les Etats-Unis, la Russie et la Chine, seules puissances en mesure – en fonction de leurs seuls intérêts propres – de peser sur l’issue de cette guerre par procuration, l’Union européenne étant de son côté totalement dépassée car ayant choisi depuis la fin de la Guerre froide d’engranger les dividendes de la paix au détriment de sa défense. Ignorer cette évidence ou refuser de l’admettre peut conduire à des prises de décisions tragiques pour la France et les Français.
C’est pourquoi j’appelle les représentants de la nation, députés et sénateurs, étrangement silencieux sur les décisions partisanes prises par l’exécutif et qui engagent la France dans ce conflit, à exiger un débat au Parlement. La France se devait, en présidant l’Union européenne au cours du premier semestre 2022 – avant même l’agression russe et dans les mois qui l’ont suivie – d’adopter un rôle singulier de puissance d’équilibre, de vrai médiateur donnant à la diplomatie sa raison d’être dans ce conflit qui aurait pu et qui aurait dû être évité ou arrêté. Car cette guerre est un vrai malheur pour l’Europe. En ne faisant pas ce choix et en suivant aveuglément les Etats-Unis, la France a manqué un rendez-vous avec l’Histoire. Les Français pourraient le payer cher.
C’est pourquoi, enfin, j’appelle les Français à prendre conscience des enjeux qui touchent à leur sécurité et donc à leur avenir. Cette prise de conscience doit les conduire à manifester fermement, résolument et massivement leur désaccord face à des décisions qui privilégient et alimentent manifestement la poursuite de la guerre et sa propagation, jusqu’à l’irréparable, au lieu de créer les conditions de son arrêt.
Car sur les raisons du déclenchement de ce conflit et par conséquent de la nécessité et du bien fondé de mon appel, il est indispensable de rapporter les faits qui contredisent le discours officiel et justifient l’opposition à la posture adoptée par la France qui découle, en fait, d’un narratif partiel et partial imposé aux Français. « Les responsables des guerres ne sont pas ceux qui les déclenchent, mais ceux qui les ont rendues inévitables » (citation attribuée à Montesquieu). En l’occurrence, la Russie a déclenché cette guerre le 24 février 2022, mais ce sont les Etats-Unis qui l’ont rendue inévitable.
Depuis la fin de la Guerre froide, en effet, la Russie est devenue une obsession pour l’Etat profond américain qui refuse notamment tout développement des relations entre ce pays et les pays européens, car il a rapidement compris que la paix instaurée déboucherait – c’est inévitable – à un développement progressif sur le continent européen des échanges et des relations commerciales, économiques, voire politiques qui bouleverserait à terme la situation géopolitique et menacerait son hégémonie. C’est la raison, d’ailleurs, du maintien de l’OTAN, engagée dans un long processus d’expansion vers les frontières de la Russie et visant à l’affaiblir sur le long terme, alors que le Pacte de Varsovie avait été dissous.
Cette stratégie délibérément agressive à l’égard de la Russie a été conçue et présentée par Zbignew Brzezinski dans son ouvrage « Le grand échiquier » dès 1997. « L’Amérique doit absolument s’emparer de l’Ukraine, parce que l’Ukraine est le pivot de la puissance russe en Europe. Une fois l’Ukraine séparée de la Russie, la Russie n’est plus une menace ». En une phrase, ce qui est désigné comme un objectif à atteindre ne peut être compris que comme une déclaration de guerre avant l’heure et peut expliquer, a posteriori, la décision de la Russie d’attaquer la première le 24 février 2022.
La concrétisation de cet objectif est exprimée par la révolution de Maïdan préparée pendant des années et déclenchée en 2014 par un véritable coup d’Etat fomenté par la CIA qui a entraîné le renversement du président ukrainien pro-russe, provoqué la division du pays et débouché sur une véritable guerre civile avec le bombardement et le massacre des populations ukrainiennes du Donbass par le nouveau régime, parce que russophones et tournées vers la Russie.
Tout a été fait par l’Ukraine et les Etats-Unis pour provoquer cette guerre avec la Russie. L’interview, le 18 février 2019, d’Oleskiy Arestovytch, conseiller du président Zelensky, est révélatrice. Le plan d’action détaillé qu’il déroule face au journaliste (tant de précision au regard de ce qui se passe aujourd’hui ne peut que montrer qu’il a reçu des assurances (cf. rapport de la Rand Corporation pour déstabiliser la Russie) constitue un témoignage accablant. Il n’hésite pas à déclarer que le prix à payer pour rejoindre l’OTAN est un grand conflit avec la Russie, en ajoutant que cette guerre commencerait entre 2020 et 2022 ! « L’OTAN forme l’armée ukrainienne, fournit les armes et la formation nécessaires depuis 2014 » (Jens Stoltenberg, Secrétaire général de l’OTAN).
Un accord de partenariat stratégique et militaire a, en outre, été signé entre Washington et Kiev le 10 novembre 2021, trois mois avant l’offensive ukrainienne sur le Donbass le 16 février 2022 qui a entraîné la réponse russe le 24 février. Cet accord scelle une alliance entre les Etats-Unis et l’Ukraine ; il est dirigé contre la Russie et promet à Kiev l’entrée dans l’OTAN.
Quant aux accords de Minsk I (5 septembre 2014) et Minsk II (12 février 2015), ils ont été sabotés par les Etats-Unis (déjà installés (cf. Mme Victoria Nuland) dans les instances décisionnaires de l’Ukraine) qui ne pouvaient supporter que cette crise fût gérée par les Européens eux-mêmes et notamment par la France et l’Allemagne signataires de ces accords et garants de leur application. La France a d’ailleurs une responsabilité immense – partagée avec l’Allemagne – dans la situation actuelle en n’ayant pas oeuvré pour cette application et a donc failli à sa signature. Mais on sait aujourd’hui, après l’aveu cynique de Mme Merkel confirmé par le président Hollande, que ces accords n’étaient qu’un subterfuge destiné à tromper la Russie et à permettre au nouveau régime ukrainien de gagner du temps pour s’organiser, s’armer et se préparer.
Par ailleurs, dès le 27 février 2022, le président ukrainien avait accepté le principe de négociations qui se sont déroulées au cours du mois de mars pendant quelques semaines. Elles n’ont cependant pas abouti en raison des pressions américaines et de l’assassinat par le SBU (services secrets ukrainiens) d’un des négociateurs.
Le 26 septembre 2022 les gazoducs Nord Stream 1 et 2 étaient gravement endommagés par des explosions entraînant quatre fuites de gaz en Mer Baltique et coupant l’approvisionnement en gaz de l’Europe. Cet incident majeur résulte indiscutablement d’un acte hostile délibéré dont l’origine, sans même se référer aux révélations récentes de l’enquête menée par le journaliste américain Seymour Hersch, ne trompe personne. A qui profite le crime ? Les Etats-Unis ont planifié et piloté ce sabotage qui s’apparente à une opération terroriste. « Si la Russie envahit… alors, il n’y aura plus de Nord Stream. Nous y mettrons fin » (Joe Biden). L’objectif de l’Etat profond américain, déjà évoqué, est d’empêcher tout développement des relations entre la Russie et l’Europe et en particulier de couper le lien de dépendance énergétique et donc économique de l’Allemagne – et donc de l’Europe – avec Moscou. L’impact de ce sabotage a totalement ravagé l’économie de l’Union européenne, provoquant une hausse ahurissante des prix de l’énergie et des faillites en chaîne.
Il n’est pas dans l’intérêt de l’Europe dans un conflit qui lui est imposé de couper le lien avec la Russie, au risque de la pousser vers la Chine qui est consciente d’être la prochaine visée par les Etats-Unis. Et l’intérêt de la Chine aujourd’hui n’est pas d’affaiblir ou de laisser affaiblir la Russie. Son attitude dans cette crise est cruciale. Si elle a l’intention (comme le lui reprochent à présent les dirigeants américains) de fournir des armements à la Russie, les Etats-Unis auraient, en provoquant cette guerre en Ukraine, ouvert la boîte de Pandore.
Enfin, il faut évoquer un facteur fondamental qui conditionne la poursuite et l’évolution de ce conflit, à savoir les pertes humaines. Dans ce domaine sensible, il faut rester circonspect mais les données rendues récemment publiques par les médias turcs faisant référence aux services de renseignement israéliens sont plausibles :
Russie : 18 480 soldats tués / 44 500 blessés – 323 prisonniersLa disproportion entre les pertes ukrainiennes et russes est cohérente avec la disproportion des feux appliqués par chacun des camps à son adversaire (de l’ordre de 8 pour 1 en faveur de la Russie). Jusqu’où sommes-nous prêts à aller dans cette boucherie qui aurait pu et aurait dû être évitée ?
La disproportion entre les pertes ukrainiennes et russes est cohérente avec la disproportion des feux appliqués par chacun des camps à son adversaire (de l’ordre de 8 pour 1 en faveur de la Russie). Jusqu’où sommes-nous prêts à aller dans cette boucherie qui aurait pu et aurait dû être évitée ?
Cette guerre est bien celle des Etats-Unis et n’est absolument pas dans l’intérêt des Européens qui se suicident économiquement et géopolitiquement en raison des sanctions décidées contre la Russie et qui risquent, à présent, d’être impliqués directement dans ce conflit. Le temps de la raison n’est-il pas venu avant qu’il ne soit trop tard ?
« La paix est le seul combat qui vaille d’être mené. Ce n’est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l’ordre de choisir définitivement entre l’enfer et la raison ».
Wagenknecht et Schwarzer rédigent un manifeste pour la paix
par Danielle Bleitrach
Histoire et Société
13 février 2023
Le Spd de Scholz a ce weekend vécu une débâcle électorale de plus. Il paye la gestion complètement incohérente du pays, soumis aux pressions bellicistes d’une partie de sa coalition alors même que l’Allemagne apparait de plus en plus comme la victime principale de la stratégie de guerre par procuration des Etats-Unis et du refus de ce dernier de négocier. Ce qui est en train d’apparaître dans le pays c’est une véritable opposition de gauche à cette soumission aux USA et à l’OTAN. Un manifeste a été lancé qui lie des membres du SPD, avec ceux de die Linke, unis sur la base de la paix, une gauche est en train de surgir de celle qui n’a cessé comme en France d’être la courroie de transmission de l’OTAN, de soutenir y compris les nationalismes d’extrême-droite. Une manifestation est prévue à Berlin le 25 février. Notons que cette position se rapproche beaucoup de celle adoptée récemment par Fabien Roussel, mais qu’elle a le mérite de ne pas attendre que l’ensemble de la gauche soit d’accord, voire d’avoir demandé son avis à l’ONU, pour être à l’initiative en matière de refus de livrer des armes. C’est à ce titre un pas important. (note et traduction de Danielle Bleitrach dans histoireetsociete)
Dans un manifeste pour la paix, la politicienne de gauche Sahra Wagenknecht et la publiciste Alice Schwarzer appellent à la fin des livraisons d’armes à l’Ukraine. Elles appellent également à un rassemblement le 25 février à Berlin.
La politicienne de gauche Sahra Wagenknecht et la publiciste Alice Schwarzer ont écrit un « Manifeste pour la paix ». Au début du texte, qui a été publié vendredi sur la plate-forme de pétition change.org, il est dit qu’aujourd’hui est le 352e jour de la guerre en Ukraine.
« Si les combats continuent ainsi, l’Ukraine sera bientôt un pays dépeuplé et dévasté. »
Wagenknecht et Schwarzer ont également fait référence aux plus de 200 000 soldats et 50 000 civils qui seraient morts dans les combats. Un « peuple entier est traumatisé » :
« Et beaucoup de gens à travers l’Europe ont peur de l’escalade de la guerre. Ils craignent pour leur avenir et celui de leurs enfants. »
Wagenknecht et Schwarzer ont également déclaré que la population ukrainienne avait été « brutalement attaquée par la Russie » et avait besoin de « notre solidarité ». De l’avis des deux parties, toutefois, il ne pouvait s’agir de livraisons d’armes.
« Le président Zelensky ne cache pas son objectif. Après les chars promis, il exige maintenant aussi des avions de combat, des missiles à longue portée et des navires de guerre – afin de vaincre la Russie à tous les niveaux ? Le chancelier allemand assure toujours qu’il ne veut pas envoyer d’avions de combat ou de « troupes au sol ». Mais combien de « lignes rouges » ont déjà été franchies ces derniers mois ? »
Il est à craindre que le président russe Vladimir Poutine « lance une riposte maximale au plus tard en cas d’attaque contre la Crimée », ont déclaré Schwarzer et Wagenknecht. L’Ukraine peut gagner des batailles individuelles, mais pas une guerre contre la plus grande puissance nucléaire du monde. Par conséquent, la guerre doit se terminer à la table des négociations. Cependant, négocier ne signifie pas capituler.
« Négocier, c’est faire des compromis des deux côtés. Dans le but d’éviter des centaines de milliers de décès supplémentaires et pire. Nous le pensons aussi, et la moitié de la population allemande le pense aussi. Il est temps de nous écouter! »
Enfin, il est dit :
« Nous appelons le chancelier à mettre fin à l’escalade des livraisons d’armes. Maintenant ! Il devrait mener une alliance forte pour un cessez-le-feu et des négociations de paix au niveau allemand et européen. Maintenant ! Parce que chaque jour perdu coûte jusqu’à 1 000 vies supplémentaires – et nous rapproche d’une 3e guerre mondiale. »
Le manifeste a jusqu’à présent été signé par 69 personnalités connues, parmi les premiers à signer l’historien Peter Brandt (fils de Willy Brandt), le politologue Christoph Butterwegge, l’éditeur du journal berlinois Holger Friedrich, la théologienne Margot Käßmann, l’ancien politicien de gauche Oskar Lafontaine, le musicien Reinhard Mey, l’homme politique Martin Sonneborn (Die PARTEI), l’homme politique Jürgen Todenhöfer, le général de brigade à la retraite Erich Vad et le politologue Johannes Varwick.
Il est également informé qu’Alice Schwarzer, Sahra Wagenknecht et l’ancien général de brigade Erich Vad ont appelé à un rassemblement à la porte de Brandebourg le 25 février.
Alors que la guerre en Ukraine arrive à son premier anniversaire, elle est de plus en plus transformée par l’administration Biden et le «collectif occidental» en une guerre entre l’OTAN et la Russie. Le danger de se transformer en une confrontation nucléaire est imminent.
La crise des missiles de Cuba de 1962 a été un signal d’alarme en pleine guerre froide, montrant à quel point une troisième guerre mondiale nucléaire pouvait être proche. Contrairement à aujourd’hui, les deux parties ont cherché un compromis. Ils ont compris qu’un renoncement à la guerre était dans leur intérêt mutuel. Les traités sur les missiles antibalistiques et sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, aujourd’hui supprimés, ont été négociés.
A l’époque, un mouvement international pour la paix, avec un fort contingent américain, amplifiait la demande d’un monde pacifique. Ces voix sont beaucoup moins nombreuses à l’heure actuelle. Contrairement au passé, pas un seul démocrate du Congrès ne s’est exprimé en faveur de la paix, laissant le terrain idéologique de la guerre pratiquement incontesté. Il est particulièrement regrettable que des voix, y compris dans la «gauche» américaine, continuent de battre les tambours de la guerre en appelant à la poursuite de la guerre jusqu’à la victoire de l’Ukraine. Cela ne pourrait que signifier la victoire de l’OTAN dans une guerre totale avec la Russie.
Les accords de paix négociés ne sont pas tant basés sur la confiance que sur la compréhension mutuelle que l’alternative n’est dans l’intérêt d’aucune des parties. Argumenter comme certains à «gauche» que «la Russie de Poutine n’est pas digne de confiance», c’est ignorer le fait qu’aucune négociation entre parties belligérantes n’a jamais été basée sur la confiance.
La réalité indéniable à laquelle nous sommes confrontés devrait nous faire prendre conscience de l’urgence de négociations et d’une solution diplomatique à cette guerre.
La guerre en Ukraine et autour de l’Ukraine doit prendre fin. Il ne devrait y avoir aucun doute à ce sujet. Toutes les guerres se terminent soit par des négociations, soit par la victoire de l’un ou l’autre camp. Etant donné que cette guerre ne se déroule pas simplement entre la Russie et l’Ukraine, mais entre la Russie et une Ukraine soutenue par l’Occident, la première option – la victoire – est impossible. Ni la Russie (une grande puissance nucléaire) ni les puissances occidentales (dont plusieurs sont de grandes puissances nucléaires) ne toléreront une défaite, quelle qu’elle soit.
Si une victoire militaire n’est pas possible, alors la seule voie à suivre est celle des négociations. La guerre ne saurait être la réponse. L’escalade de cette guerre ne devrait pas être encouragée par ceux qui croient en la coopération internationale et en une paix véritable. Quiconque n’appelle pas à des négociations en cette période de conflit – alors que la guerre se poursuit et que la hausse du coût de la vie dans le monde s’intensifie – ne comprend pas la dangerosité de la situation dans laquelle se trouve la planète.
Those Who Fail to Call for Negotiations, Fail to Understand the Dangerous Predicament That Faces the Planet!
U.S. Peace Council
January 25, 2023
At no time since the Cuban missile crisis has our world has been so close to disaster. As the war in Ukraine approaches its first anniversary, it is being increasingly transformed by the Biden administration and the “collective west” into a war between NATO and Russia. The danger of turning into a nuclear confrontation is imminent.
The 1962 Cuban Missile Crisis was a wake-up call in the midst of Cold War, warning just how close a nuclear World War III could be. Unlike today, both sides sought accommodation. They understood that a retreat from war was in their mutual interest. The Anti-Ballistic Missile and the Intermediate-Range Nuclear Forces treaties, now scrapped, were negotiated.
Back then, an international peace movement with a robust US contingent amplified the demand for a peaceful world. Such voices are much diminished now. Unlike in the past, not a single Democrat in Congress spoke out for peace, leaving the ideological terrain for war virtually uncontested. Particularly unfortunate are the voices, including some in the U.S. “left,” who continue to beat the drums of war by calling for the continuation of war until the victory of Ukraine. That would only mean the victory of NATO in an all-out war with Russia.
Negotiated peace agreements are not based so much on trust as on the mutual understanding that the alternative is in neither side’s interest. Arguing as some on the “left” do that “Putin’s Russia cannot be trusted,” disregards the fact that no negotiation between warring parties has ever been based on trust.
The undeniable reality facing us should make us all aware of the urgency for negotiations and a diplomatic solution to this war.
The war in and around Ukraine must end. There should be no dispute about that. All wars end either with negotiations or with the victory of one side or the other. Given that this war is not merely between Russia and Ukraine but is between Russia and a Western-backed Ukraine, the first option — for victory — is impossible. Neither Russia (a major nuclear power) nor the Western powers (many of them being major nuclear powers) will tolerate anything near a defeat.
If a military victory is not possible, then the only way forward is for negotiations. War is not an answer. Escalating this war should not be promoted by those who believe in international cooperation and genuine peace. Those who fail to call for negotiations in the midst of this contentious period — with the war ongoing and its impact intensifying a cost-of-living crisis around the world — fail to understand the dangerous predicament that faces the planet.
L’article ci-après de Guy Mettan ne porte nullement sur les origines de la guerre en cours, ni sur le partage des responsabilités incombant aux uns et aux autres, mais seulement sur les conséquences économiques, sociales et culturelles que les hostilités comportent à la fin de 2022 pour les Russes, conséquences qui, à certains égards, sont opposées à celles que l’Occident enregistre chez lui et conjecture chez l’“ennemi”.
Pour le responsable de ce blog lancé en août 2014, en marge des prémices de la crise ukrainienne, le risque majeur que comporte ce conflit alors politique, puis politico-militaire, à présent militaire et en voie d’internationalisation, c’est qu’il débouche sur une IIIe Guerre mondiale, catastrophe sans précédent aucun. Bien que, dans cet article, Guy Mettan n’y fasse aucune allusion, il nous semble bien que lui aussi soit hanté par pareille perspective.
IR 28-01.2023
Mi-décembre, j’ai eu l’occasion d’effectuer un bref voyage à Moscou et à Novosibirsk, capitale de la Sibérie située à 4000 kilomètres du front ukrainien. Soit assez de temps pour évaluer l’état d’esprit de la population russe après dix mois de guerre.
La première chose qui frappe les visiteurs étrangers, devenus rares depuis le 24 février et donc très courtisés par des Russes avides de savoir ce qu’on pense d’eux en Occident, est la quasi-normalité de la vie quotidienne.
A lire et à écouter nos médias, on a l’impression que les Russes vivent en état de siège et qu’ils passent leur temps à tenter de survivre à nos impitoyables sanctions économiques, à digérer leurs défaites militaires et à enterrer les innombrables morts que leur infligeraient les Ukrainiens victorieux. Il n’en est rien.
Normalité de la vie quotidienne
Dans les grandes villes, les rues regorgent de lumières et de décorations de Noël, les patinoires et les marchés de plein air sont pris d’assaut malgré le froid et la neige, les avenues sont toujours aussi encombrées de colonnes de 4×4 qui cherchent à se frayer un chemin dans les bouchons. Une atmosphère qui tranche avec les airs de Blitz de nos villes sans décorations, aux vitrines ternes et privées d’é clairage public par le couvre-feu imposé par la pénurie d’énergie.
Cette normalité de la vie quotidienne est confirmée par les statistiques économiques qui montrent que le recul du PNB russe se limitera à 2,5–3% pour l’année 2022, soit moins que la perte enregistrée en 2020, lors de la première année de la crise du Covid. C’est à peine si, çà et là, on remarque des boutiques fermées, essentiellement des marques de luxe, et des affiches appelant à soutenir les soldats combattant en Ukraine, seul rappel qu’une guerre est en cours sur l’une des immenses frontières du pays.
Cette normalité n’est-elle qu’apparente? Cache-t-elle un désarroi profond de la population, une sourde hostilité au «régime», une peur de s’exprimer, comme on le suggère si souvent chez nous? Je n’en ai pas eu le sentiment non plus. Au contraire, j’ai eu l’impression que les Russes avaient pris conscience que le conflit en Ukraine s’installait dans la durée et que, de bonne ou mauvaise grâce, ils allaient devoir vivre avec pendant longtemps.
Au début, l’inquiétude était palpable
Comme tout le monde, dans un premier temps, les Russes ont été surpris et sidérés par «l’opération militaire spéciale» en Ukraine, en particulier dans les très nombreuses familles – on parle de dizaines de millions de personnes – que ce conflit isolait ou coupait en deux parce qu’elles ont des attaches en Ukraine.
Puis, le premier instant de stupeur passé, on a pensé que les combats trainaient en longueur mais ne s’éterniseraient pas. Les premiers revers, fin août, et surtout la mobilisation partielle de septembre ont douché ces espoirs. Plusieurs centaines de milliers de mobilisables se sont enfuis à l’étranger – on estime leur nombre à 300 000 ou 400 000 personnes en tenant compte des retours progressifs, soit 0,3% de la population – tandis que l’inquiétude devenait palpable. Trois mois plus tard, celle-ci n’a pas disparu mais a beaucoup régressé.
Sont-ils dupes de la propagande? Je ne le crois pas non plus. Comme me le confiait une amie active dans la culture: «Depuis l’è re soviétique, les Russes savent d’instinct décoder la propagande d’Etat et faire la part des choses. Ils n’y font même pas attention. Tandis que vous, à l’Ouest, vous faites tellement confiance à vos dirigeants et à vos institutions que vous n’ê tes même pas conscients de leur propagande.» A méditer!
Dans tous les cas, la cote de Vladimir Poutine n’a pas varié depuis fin février et demeure très élevée, à environ 70% d’opinions favorables, celles-ci étant d’autant plus positives qu’on s’é loigne des trois plus grandes villes, Moscou, Saint-Pétersbourg et Iekaterinbourg.
Le soutien aux soldats sur le front s’est accru
Quant au soutien aux soldats sur le front, sinon à l’armée, il s’est même accru. Les Russes ne sont pas dupes des incompétences de certains commandants opérationnels, comme on vient de le voir dans la tragédie de Mareevka la nuit du nouvel An, ni de la gabegie logistique qui ont marqué les premières semaines de guerre et ils n’ont pas ménagé leurs critiques en privé.
Ils savent qu’ils doivent d’abord compter sur eux-mêmes et ne rien attendre de l’Etat. Dans tous les cas, les mauvaises nouvelles n’ont pas altéré leur soutien à l’opération militaire et ils sont désormais derrière leurs soldats, quitte à court-circuiter les hiérarchies.
Il est remarquable de constater que, du fin fond des villages sibériens, des centaines de civils se mobilisent pour organiser des convois et apporter des vivres, du chocolat, des habits chauds, des colis aux soldats qui se battent contre les forces de l’OTAN en Ukraine. De même, à l’inverse des conscrits urbains réticents, le nombre d’engagés volontaires n’a pas faibli.
Depuis l’automne, la majorité des Russes est en train de comprendre que leur pays ne se bat pas seulement contre les nationalistes ukrainiens mais contre l’Occident tout entier regroupé sous la bannière de l’OTAN et qu’il s’agit d’un combat vital, existentiel et de longue haleine pour la survie de leur mode de vie et de leur culture, même si celui-ci a été engagé à leur corps défendant.
La stratégie de l’armée a été revue
Cette prise de conscience que la guerre et les hostilités allaient durer a d’abord été le fait de l’armée, que les difficultés rencontrées sur le terrain ont obligée à se restructurer en profondeur. La stratégie a été complètement revue.
On est passé du mode offensif improvisé au mode défensif organisé, sur des lignes de défense plus sûres, avec un commandement unifié et intégré, sous les ordres d’un général expérimenté, Serguei Sourovikine, et avec l’objectif d’é pargner au maximum les ressources humaines et les équipements. A la retraite désordonnée de la région de Kharkov a succédé le retrait ordonné et réussi des troupes et du matériel de la région de Kherson. On a investi dans les drones et les petites unités mobiles.
Les lignes logistiques ont été revues et les divisions de réserve réorganisées de façon à pouvoir réagir aux urgences. Le gros de l’armée se retranche et délègue ses capacités offensives aux forces de Wagner, aux pilotes de drones et aux lanceurs de missiles contre des cibles névralgiques ukrainiennes, en riposte aux attaques ukrainiennes contre les objectifs civils russes – sabotage du gazoduc Nord Stream, attentat contre le pont de Crimée, bombardements d’hôpitaux, d’é coles et de supermarchés dans le Donbass, avec des civils tués tous les jours mais jamais rapportés dans nos médias.
La Russie a pris acte de la stratégie de l’OTAN et des Etats-Unis exprimée par le chef du Pentagone Lloyd Austin le printemps dernier, à savoir l’affaiblissement du pays jusqu’à ce qu’il ne puisse plus se relever, et cherche à la retourner en sa faveur.
En se concentrant et en ménageant ses troupes, elle laisse les Ukrainiens et les mercenaires de l’OTAN épuiser leurs forces et leur matériel jusqu’à ce qu’ils se fatiguent. Plus que sur le Général «Hiver», ce sont sur les Généraux «Temps» et «Espace» que mise désormais l’armée russe. Comme Souvorov et Bagration en leur temps, elle a appris à ses dépens que patience valait mieux que force et que rage si l’on voulait vaincre dans la durée.
Des effets positifs pour l’économie russe
Les milieux économiques ont eux aussi très rapidement pris conscience que l’ensemble des circuits de production et d’é changes devait être revu de fond en comble après la fermeture des frontières imposée par le partenaire naturel européen.
On a beaucoup glosé en Europe sur les oligarques et leur supposée opposition à Poutine. En se trompant complètement. Les oligarques, même s’ils ont déploré le déclenchement des hostilités, ont rapidement compris que la séquestration de leurs biens et de leurs avoirs bancaires en Europe et aux Etats-Unis – yachts, résidences de luxe, suites à Courchevel et à Saint-Moritz – et les sanctions personnelles prises contre eux en faisaient des parias pour l’Occident et qu’ils seraient condamnés à tout perdre au cas où il leur prendrait la fantaisie de faire défection.
Les sanctions et l’exclusion de la Russie du système de paiement SWIFT et des relations bancaires occidentales ont même eu un effet positif pour l’é conomie russe puisque, pour la première fois, elles ont coupé court à l’é vasion des capitaux – environ 100 milliards de dollars par an – qui saignait l’é conomie depuis trente ans. Désormais, il faudra y réfléchir à deux fois avant de déposer son argent dans une banque suisse, européenne ou américaine.
Depuis quelques mois, l’é conomie russe cherche donc à s’adapter aux nouvelles circonstances. Les circuits de distribution du pétrole, du gaz, des minerais, du blé et des engrais sont réorganisés vers l’Asie, la Chine, l’Inde, l’Iran, les Emirats et l’Arabie saoudite (à cause de l’OPEP+ et des facilités bancaires). On fait de même pour les circuits d’importation.
Les importations parallèles se mettent en place pour approvisionner l’industrie en pièces détachées, en supraconducteurs et en puces, et la population en appareils ménagers, en vêtements, en produits de luxe, en ameublement et autres biens de consommation courante que l’é conomie russe ne sait pas produire en grandes quantités.
L’exemple de la Biélorussie, coutumière des sanctions et qui a malgré tout enregistré la meilleure performance européenne dans sa gestion du Covid grâce à son système de soins et à ses ressources pharmaceutiques, montre que l’industrie russe est parfaitement capable de relever ce défi à condition de réorienter les investissements vers la reconversion industrielle et de cesser de se reposer paresseusement sur la rente pétrolière et gazière.
Les succès spectaculaires enregistrés par l’agriculture, l’industrie agro-alimentaire, le secteur aérospatial et les industries d’armement à la suite des sanctions prises contre elles en 2014 militent aussi dans ce sens.
Cette reconversion prendra quelques années et les experts s’attendent à deux ou trois ans de contraction et de vaches maigres avant que la croissance reparte à la hausse. Pas de quoi paniquer, surtout que l’on pourra compter sur des ressources énergétiques inépuisables et très bon marché, contrairement à l’Europe qui devra payer au prix fort ses importations d’énergie.
Attaques massives contre le peuple russe et sa culture
Qu’en est-il de l’é tat d’esprit de la population? Comment s’adapte-t-elle à cette nouvelle donne? Pour résumer en une phrase, je dirais qu’elle fait contre mauvaise fortune bon cœur. Il faut savoir que la plupart des Russes ont très mal vécu les mesures prises contre la culture russe et contre eux-mêmes en Occident.
Ils se sont sentis profondément humiliés par la censure des artistes, des musiciens, des sportifs et des scientifiques, par l’annulation des colloques académiques, la cessation brutale des échanges en dépit des liens personnels développés depuis longtemps, la réécriture de l’histoire concernant la contribution russe dans la victoire contre le nazisme, la culture d’annulation et même de destruction de monuments entreprise non seulement en Ukraine mais dans les pays baltes et en Pologne. Quand on a compté 26 millions de morts dans la lutte contre le nazisme, il est intolérable d’apprendre que c’est le débarquement en Normandie (50 000 morts) qui a été l’é vénement majeur de la Deuxième Guerre mondiale.
Cet ostracisme et ces injustices ont laissé des traces amères dans la mémoire vive des Russes, que la fermeture des frontières et l’interdiction de facto de voyager en Occident à la suite de la suppression des vols directs ont encore aggravées.
Ils peuvent comprendre que l’Europe critique l’intervention armée en Ukraine, mais ne voient pas pourquoi l’Europe qui se prétend civilisée s’en prend à Tchaikowski, à Tchekov, à des chefs d’orchestre et à la population en général, dans un mouvement de bannissement inédit dans l’histoire. De même, la censure de l’ensemble des médias russes dans un espace européen qui se targue de défendre ses «valeurs» démocratiques en Ukraine passe pour de la duplicité.
Chez nous, tout cela semble relever de détails, que nous nous sommes d’ailleurs empressés d’oublier. Mais pas pour les Russes qui s’é taient enfin sentis membres de la grande famille européenne depuis la chute du Rideau de fer. Ce rejet de la Russie et des Russes, en tant qu’ê tres humains, depuis février dernier est douloureusement vécu.
Le pays, notamment dans les villes, est en train d’apprendre dans la douleur qu’il doit faire le deuil de l’Europe parce que celle-ci en a décidé ainsi au terme d’une guerre, certes malheureuse et regrettable, mais qui n’a pourtant rien à voir avec l’ampleur des ravages suscités par les agressions armées de l’Occident en Afghanistan et en Irak, en Syrie, en Libye, au Yémen ou encore dans l’est du Congo (6 millions de victimes totalement ignorées par les médias occidentaux). Cette hypocrisie est très mal ressentie.
Les premières failles étaient apparues à la conférence de Munich en 2007 et lors de la guerre imprudemment déclenchée par Saakhachvili en Géorgie en 2008, puis en 2014, avec le putsch de Maidan qui a renversé le président démocratiquement élu Yanoukovitch, la mise à ban des russophones du Donbass et la vague de sanctions prises en réponse à l’annexion de la Crimée. Mais ces divergences étaient restées d’ordre politique et géopolitique et ne s’é taient pas encore transformées en guerre culturelle, humaine, civilisationnelle. Désormais la coupure est nette, profonde, radicale.
Le fossé idéologique entre l’Europe et la Russie semble presque infranchissable
Jusqu’ici les élites dirigeantes russes avaient joué sur les deux tableaux, empruntant à l’Occident les principes du capitalisme néolibéral, son culte du progrès matériel et ses institutions démocratiques tout en cultivant l’idée d’une Russie indépendante, souveraine et libre de développer ses valeurs propres – inspirées de la tradition conservatrice – et de choisir ses partenaires. La guerre a rendu cette double voie obsolète. Elle oblige à faire des choix clairs.
Du point de vue russe, l’engagement croissant de l’OTAN derrière l’Ukraine et les propos de l’ancien président ukrainien Porochenko et de l’ancienne chancelière Angela Merkel, confirmés par François Hollande, sur le fait que ni l’Ukraine ni l’OTAN n’avaient l’intention de respecter les accords de Minsk et que ceux-ci n’é taient qu’un stratagème destiné à donner du temps à l’Ukraine pour se réarmer, ont rendu toute perspective de négociation aléatoire puisqu’il est devenu évident que ni la parole donnée ni les traités signés par les Occidentaux n’avaient de quelconque valeur.
D’autre part, le fossé idéologique entre l’Europe et la Russie s’est creusé au point de devenir presque infranchissable. Les Russes, comme le reste du monde arabo-musulman, asiatique et africain, comprennent de moins en moins l’é volution sociétale occidentale. Le libéralisme prôné par l’Occident parait de plus en plus comme un subterfuge destiné à masquer ses ingérences permanentes dans les affaires des autres.
Les dérives identitaires basées sur le sexe et le genre, l’antiracisme poussé jusqu’au racialisme, la dictature de minorités de plus en plus minces et extrémistes sur la majorité, le révisionnisme historique imposé par la «cancel culture», la multiplication des sexes préconisée dès le plus jeune âge, le wokisme et le rejet de la culture humaniste traditionnelle, tout cela est de plus en plus étranger à la culture russe et du sud global en général.
Le changement de ton des discours de Poutine depuis l’é té dernier est d’ailleurs très significatif à cet égard. Pour la première fois le président russe a fait des allusions directes aux valeurs traditionnelles, critiquant la mode occidentale des changements de sexe, des mères porteuses, du parent 1 et parent 2 pour désigner le père et la mère, militant pour un retour aux valeurs humanistes traditionnelles face aux tentations transhumanistes en vogue chez nous, et plaidant pour un monde multipolaire dans lequel chaque pays et chaque culture auraient des droits égaux à préserver leurs valeurs sans craindre d’ê tre bombardés ou envahis parce que leurs choix déplairaient à l’Occident.
Pour une majorité de Russes, cette séparation est vécue comme un drame car elle met fin à leur rêve d’ê tre reconnus comme des Européens à part entière. Ils font le deuil de l’Europe dans la douleur mais sont résignés à en porter le fardeau quel qu’en soit le poids.
* Guy Mettan est politologue et journaliste. En 1980, il a commencé sa carrière de journaliste à la Tribune de Genève et en a été le directeur et rédacteur en chef de 1992 à 1998. De 1997 à 2020, il a dirigé le «Club Suisse de la Presse» de Genève. Il travaille actuellement comme journaliste indépendant et auteur.
(16 janvier 2023) La guerre en Ukraine est, comme toute guerre, terrible et devrait se terminer le plus rapidement possible. Mais on ne peut pas juger cette guerre et la responsabilité politique de celle-ci sans connaître et prendre en compte ses origines. (Rédigé fin décembre 2022)
Comment en est-on arrivé à cette guerre?
Jusqu’en 1991, l’Ukraine faisait partie de l’Union soviétique en tant que république soviétique. Ce n’est qu’après la dissolution de l’Union soviétique que la République soviétique d’Ukraine est devenue un Etat indépendant. Il n’y a jamais eu d’Etat ukrainien avant la révolution russe de 1917. Une grande partie de l’Ukraine actuelle appartenait à la Russie tsariste, les régions situées à l’ouest à la monarchie danubienne des Habsbourg. Dans les districts de l’est et du sud ainsi qu’en Crimée, qui n’a été attribuée à la République soviétique d’Ukraine qu’après la Seconde Guerre mondiale, vivaient et vivent encore aujourd’hui majoritairement des personnes de langue maternelle russe.
Après la dissolution de l’Union soviétique, l’OTAN anti-russe n’a cessé de s’é tendre vers l’est jusqu’aux frontières de la Russie, bien que Gorbatchev ait reçu en 1990 l’assurance que l’OTAN ne s’é tende pas plus à l’est après la dissolution du Pacte de Varsovie et le retrait de l’armée soviétique d’Allemagne et des anciens Etats socialistes d’Europe de l’Est. Après l’intégration de la Pologne, des anciennes républiques soviétiques de Lituanie, Lettonie et Estonie, de la République tchèque, de la Slovaquie, de la Hongrie, de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’OTAN, il ne manquait plus que l’Ukraine, la Biélorussie et la Géorgie pour achever l’encerclement des régions occidentales de la Russie par l’OTAN.
Comme la Russie sous Poutine n’é tait pas prête à s’intégrer en tant qu’alliée subordonnée au système étatique occidental dominé par les Etats-Unis, l’Occident dirigé par les Etats-Unis tente désormais d’ostraciser la Russie en tant que pouvoir autoritaire non démocratique. Cela passe notamment par l’intimidation et la menace d’un encerclement militaire. Dans le cadre de ces efforts, l’Ukraine, dont les districts orientaux se trouvent à quelques centaines de kilomètres de la capitale russe, joue un rôle décisif. Tous les moyens devaient donc être mis en œuvre pour amener l’Ukraine sur une voie pro-occidentale et anti-russe.
Après le refus du président élu ukrainien Ianoukovytch de signer un accord d’association présenté par l’UE, car cela aurait impliqué de se détourner de la Russie et d’adopter la politique anti-russe de l’UE, le président élu Ianoukovytch a été renversé par un coup d’Etat organisé, orchestré et financé par l’Occident, et un groupe anti-russe pro-occidental a été porté au pouvoir.
Ces événements ont eu pour conséquence que la Crimée, habitée presque exclusivement par des Russes, s’est séparée de l’Ukraine et a rejoint la Fédération de Russie par référendum. Après le coup d’Etat de Maïdan, le russe, langue maternelle de la majorité de la population des districts de l’est et du sud de l’Etat ukrainien, a été interdit en tant que langue régionale et les écoles russes ont également été interdites. Dans le cadre d’une politique antirusse militante, des lois ont été promulguées dans le but de faire disparaître la langue russe, langue maternelle de plus de 50% de la population ukrainienne, du territoire ukrainien.
Dans les districts du Donbass, majoritairement peuplés de Russes, des gouverneurs antirusses ont été nommés par Kiev.
Tout cela a eu pour conséquence que dans les districts de Lougansk et de Donetsk, la population majoritairement russe s’est révoltée et a proclamé et créé les républiques populaires de Lougansk et de Donetsk, indépendantes de Kiev.
Par la suite, l’armée ukrainienne a tenté de rétablir militairement le contrôle de la centrale de Kiev sur les territoires autonomistes du Donbass. Des combats ont eu lieu, faisant des morts et des blessés des deux côtés. Avec la médiation de l’OSCE, on s’est ensuite efforcé de régler le conflit avec le Donbass en tenant compte et en préservant également les intérêts légitimes de la population de cette région, en grande majorité russe.
Ces efforts ont abouti aux accords dits de Minsk, signés par l’OSCE, l’Ukraine et la Russie, ainsi que par les représentants des républiques populaires de Lougansk et de Donetsk, et qui ont été approuvés dans la Déclaration de Minsk par la France (président Hollande) et l’Allemagne (chancelière Merkel), ainsi que par la Russie.1
Le contenu de ces accords de Minsk prévoyait l’arrêt des combats et le retrait des armes lourdes, ainsi que la création d’un statut autonome pour les districts de Lougansk et de Donetsk, qui serait ancré dans la Constitution ukrainienne et permettrait à ces districts, dans le cadre de l’Etat ukrainien, d’é lire eux-mêmes leurs autorités, de réglementer et d’organiser de manière autonome la cohabitation des habitants de ces districts, y compris la langue et la culture russes.
L’accord de Minsk 2 n’a toutefois pas été appliqué par la partie ukrainienne. Le bombardement du Donbass a continué, pour lequel les brigades fascistes Azov ont été engagées. Jusqu’au début de l’attaque russe en février 2022, plus de 14 000 citoyens des républiques populaires de Lougansk et de Donetsk, en grande partie des civils, ont été tués par ces attaques illégales en violation des accords de Minsk.
La réforme constitutionnelle qui aurait dû permettre de réaliser le statut d’autonomie convenu du Donbass n’a pas eu lieu. La France et l’Allemagne, qui ont participé à la négociation des accords de Minsk, qui ont expressément approuvé ces accords par la déclaration de Minsk et qui se sont engagées à soutenir leur mise en œuvre, n’ont jamais incité Kiev à respecter les accords de Minsk et à procéder aux modifications constitutionnelles convenues, et n’ont certainement pas exercé de pression dans ce sens.
Récemment, l’ex-chancelière allemande Angela Merkel a reconnu en toute franchise dans une interview que l’Ukraine et les Etats signataires occidentaux n’avaient signé les accords de Minsk que pour gagner du temps en vue d’un réarmement de l’armée ukrainienne. De plus, la Constitution ukrainienne fixe comme objectif politique l’adhésion à l’OTAN.
Dans ce contexte, il convient également d’attirer l’attention sur des faits relevés avec justesse par le chercheur allemand en matière de conflits Leo Ensel:
«Enfin, ce qui est totalement inconnu, c’est le fait que le président ukrainien Volodymyr Zelensky a signé le 24 mars 2021 – soit exactement onze mois avant l’invasion russe – le décret n° 117 qui a mis en place la «Stratégie de dé-occupation et de réintégration du territoire temporairement occupé de la République autonome de Crimée et de la ville de Sébastopol» du Conseil national de sécurité et de défense de l’Ukraine du 11 mars. Le décret prévoyait de préparer des mesures visant à «mettre fin à l’occupation temporaire» de la Crimée et du Donbass. Le gouvernement ukrainien a été chargé d’é laborer un «plan d’action» en ce sens. Le 30 août 2021, les Etats-Unis et l’Ukraine ont ensuite signé un traité de coopération militaire et le 10 novembre 2021 un traité de «partenariat stratégique». On pouvait notamment y lire textuellement: «Les Etats-Unis ont l’intention de soutenir les efforts de l’Ukraine pour combattre l’agression armée de la Russie, notamment en maintenant les sanctions et en appliquant d’autres mesures pertinentes jusqu’à ce que l’intégrité territoriale de l’Ukraine soit rétablie à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues.» La Russie a pu comprendre que Kiev voulait, avec le soutien des Etats-Unis, reconquérir militairement la Crimée annexée et favorable à la Russie, avec le port militaire stratégique de Sébastopol, ainsi que le Donbass, soutenu par la Russie.»
L’évolution de la situation depuis la signature des accords de Minsk a contraint la Russie, pour sa propre sécurité et pour la sécurité et les droits de la population majoritairement russe du Donbass, à adresser au gouvernement de Kiev les exigences ultimes suivantes:
renonciation de l’Ukraine à l’adhésion à l’OTAN;
pas de bases de l’OTAN ou d’autres armées étrangères sur le territoire de l’Ukraine;
pas de stationnement d’armes de l’OTAN sur le territoire de l’Ukraine;
dénazification de l’Ukraine (désarmement des brigades fascistes Azov);
respect des droits de la population russe dans le Donbass par la mise en œuvre immédiate et complète des accords de Minsk.
Le gouvernement de Kiev, soutenu par les Etats-Unis, l’UE et l’OTAN, a rejeté ces exigences légitimes. Si ces exigences légitimes avaient été acceptées, la guerre n’aurait pas eu lieu.
Les avis sont partagés sur la question de savoir s’il était légitime d’imposer ces exigences par la force militaire, qui sème la mort et la désolation et engendre la souffrance et la haine. De même, les avis divergent quant à savoir si le droit international a ainsi été violé sans motif justificatif. Dans ce contexte, il convient de souligner que la Cour internationale de justice (CIJ), se référant à la sécession du Kosovo de la Serbie avec un recours massif à la force militaire (bombardement de villes serbes), est parvenue à la conclusion, par le biais d’un avis juridique, que le droit à l’autodétermination de la population du Kosovo devait avoir plus de poids que l’intégrité territoriale et le respect des frontières de la Serbie.
La guerre qui fait actuellement rage en Ukraine peut et doit être vue et jugée dans le contexte de l’affrontement global entre l’Occident dominé par les Etats-Unis et les forces qui aspirent à un nouvel ordre mondial multipolaire, ce qui explique l’intervention massive des Etats-Unis, de l’OTAN et de l’UE (livraison d’armes, formation et encadrement des membres de l’armée ukrainienne, envoi de mercenaires et reconnaissance du champ de bataille).
Dans ce conflit, l’Occident tente, en partie avec succès, en partie sans succès, de provoquer des changements de régime dans de nombreux Etats (Serbie, Irak, Syrie, Libye, etc.) pour défendre l’ordre mondial dominé par les Etats-Unis, y compris par la force militaire, sans tenir compte du droit international. Personne n’a pris de sanctions contre les Etats-Unis et les pays de l’OTAN impliqués pour cette raison.
La guerre en Ukraine peut et doit se terminer par des négociations. En mars 2022, des négociations ont eu lieu à Istanbul et ont abouti à un accord prêt à être signé, à la suite de quoi le Premier ministre britannique Boris Johnson, après avoir consulté le président Biden, s’est rendu en urgence à Kiev pour empêcher la signature de l’accord qui aurait mis fin à la guerre.
La position adoptée depuis par le gouvernement Zelensky, selon laquelle la fin de la guerre ne pourra être négociée que lorsque le dernier soldat russe aura été chassé ou se sera retiré du territoire ukrainien (y compris la Crimée), n’est pas acceptable pour la Russie après l’expérience des accords de Minsk et n’est pas non plus réaliste compte tenu des rapports de force militaires.
Ce n’est pas en continuant à livrer des armes à l’armée ukrainienne que l’on parviendra à chasser l’armée russe des territoires qu’elle contrôle actuellement. De nouvelles livraisons d’armes, associées au refus d’entamer des négociations pour mettre fin à la guerre, ne conduiront qu’à une prolongation de la guerre, à encore plus de morts et de blessés, à encore plus de dévastation et à de nouvelles charges pour la population d’Europe occidentale et des Etats-Unis, qui devra payer ces armes.
Une paix obtenue par la négociation pourrait être imaginée à peu près comme suit:
Un cessez-le-feu immédiat, le retrait des armes lourdes de la ligne de front de part et d’autre.
La Constitution ukrainienne prévoit la neutralité perpétuelle de l’Ukraine, l’interdiction d’adhérer à l’OTAN et de déployer des armées et des systèmes d’armes étrangers en Ukraine.
L’Ukraine, les Etats-Unis et l’UE reconnaissent que la Crimée fait partie de la Fédération de Russie.
Un vote est organisé dans les districts de Lougansk, Donetsk, Zaporozhye et Kherson, sous contrôle international, afin de déterminer si ces districts souhaitent rejoindre la Fédération de Russie ou rester avec l’Ukraine, toutes les personnes qui résidaient dans ces districts avant la guerre ayant le droit de vote. Une majorité qualifiée d’au moins 55% peut être exigée pour l’adhésion à la Fédération de Russie. L’Ukraine et la Russie s’engagent à reconnaître le résultat de ces votes.
L’Ukraine et la Russie reconnaissent mutuellement les frontières nationales qui résultent de ces votes et déclarent renoncer mutuellement à la violence.
L’Ukraine et la Russie déclarent l’intention des deux Etats de vivre en bon voisinage.
Les sanctions contre la Russie imposées par l’UE et reprises par la Suisse en violation de la neutralité, qui font au moins autant de mal à notre population qu’à celle de la Russie, devraient être levées. Ces sanctions nuisent à l’é conomie de notre pays et ne contribuent en rien à mettre fin à la guerre le plus rapidement possible.
* Stefan Hofer, né en 1948, est un citoyen suisse résidant à Bâle. Il a travaillé comme avocat à Bâle pendant 40 ans. Depuis quelques années, il est à la retraite.
Pour tout pays, le fait de se déclarer neutre est un acte fondamental.
Le citoyen est en droit à s’attendre qu’une déclaration aussi forte, figure en bonne place dans sa Charte fondamentale et que les contours soient précisés.
Or, en Suisse, rien de tout cela. Notre Constitution fédérale ne mentionne qu’à deux reprises le mot « neutralité » – et encore presque en marge. En effet, il faut aller aux articles qui parlent des obligations de l’Assemblée fédérale et du Conseil fédéral pour y trouver les références.
Ce sont l’article 173 litt. a et 185 al. 1 qui enjoignent ces deux institutions à « préserver notre indépendance et notre neutralité ».
C’est en vain que le curieux cherchera une réponse en quoi consiste cette neutralité.
Depuis que la Confédération Helvétique existe, soit depuis 1848, nos autorités ont toujours fait prévaloir notre neutralité en cas de crises et de conflits. Dans ce domaine, les politiques du Conseil fédéral ce sont systématiquement adaptées aux situations du moment et ont été empreintes de pragmatisme.
Jusqu’à la deuxième guerre mondiale cette approche était respectée par tous et nous a préservés de bien des malheurs.
Après 1945, l’ordre mondial a été totalement bouleversé.
Très vite deux blocs se sont formés. D’un côté les capitalistes et de l’autre les communistes.
Bien que fondamentalement capitaliste, la politique de neutralité de la Suisse s’est assez rapidement adaptée à cette nouvelle donne. Elle a su faire admettre par la communauté internationale que la neutralité était une valeur au-dessus des positions idéologiques. Nos Gouvernements successifs se sont employés à établir des liens entre les partis antagoniques ; ils l’ont fait avec discrétion et constance.
Après la disparition de l’Union Soviétique en 1989 et la fin de la guerre froide, il ne suffisait plus de se dire neutre, encore fallait-il que ceux auxquels cette affirmation s’adresse y consentent.
C’est à partir de là que nos gouvernants successifs font preuve d’une certaine incapacité à définir une ligne claire de ce qu’ils entendent par « neutralité » et à fixer les lignes rouges à ne pas dépasser ; ânonner que nous avons une neutralité armée ne veut strictement rien dire.
Depuis lors, de nouveau blocs se sont formés et nos principaux et plus puissants partenaires ne font pas grand cas de notre neutralité. D’autre part, notre Conseil fédéral ne peut ou n’ose pas imposer sa vision.
Pour un petit pays de 41’285 km/2 et une population de 8,5 millions d’habitants, il n’est de loin pas évident de pouvoir s’affirmer dans un tel environnement.
En plus, les conséquences des tensions entre les occidentaux et les pays asiatiques qui se font jour et qui dégénèrent dans bien des cas dans des conflits ouverts, n’épargnent pas notre pays.
Notre position est devenue plus précaire, elle exige de la part de notre Gouvernement des efforts particuliers. Nos Conseillers fédéraux devraient expliquer, convaincre, encore et toujours que notre neutralité sert et favorise le dialogue, la paix. Or, si une chose que nos dirigeants ne savent pas faire, c’est communiquer. Notre Gouvernement est obsédé d’être le premier de classe, donc surtout ne pas déplaire et ne pas déranger.
Ne nous leurrons pas, lorsque les grands de ce monde se rencontrent à Genève, ce n’est pas pour notre neutralité. Le deuxième siège de l’ONU dans notre ville joue un rôle important, en outre, les compétences organisationnelles bien rôdée au fil des années avec les multiples rencontres dans le cadre de l’organisation précitée sont très appréciées.
Aujourd’hui, en 2023, le monde est plus que jamais scindé en deux grands blocs, autour desquels gravitent une myriade d’Etats satellites. Ici Washington, impérialiste et sûre d’elle, là Péking, tout aussi consciente de sa puissance et pressée de dépasser les Etats Unis.
Jusqu’au mois de février 2022 nous avons encore pu jongler entre les deux et nous bercer de l’illusion d’être neutre. L’agression de la Russie sur l’Ukraine nous a brutalement fait atterrir sur le terrain de la réalité. Les pays occidentaux, Washington et ses affidés de l’UE, nous ont enjoint de choisir : vous êtes avec nous ou contre nous. Il s’agissait de reprendre telles quelles les sanctions décidées par les Etats-Unis. Dans les faits ce fut un non-choix.
A partir du 28 février 2022 le Gouvernement Helvétique décide d’adhérer au principe des sanctions à l’encontre de la Russie. A ce moment-là il s’agissait d’exclure de nos activités économiques tous les biens en relation avec l’Etat Russe et susceptibles de favoriser la poursuite de la guerre. Par la suite, les occidentaux ont continuellement élargi la palette des sanctions et s’en sont pris aux biens de personnes physiques. Le Gouvernement Suisse a alors déclaré aux médias vouloir examiner la compatibilité de certaines de ces mesures avec notre Etat de droit et notre ordre juridique. Or, par une Ordonnance du 4 mars 2022, la Confédération a repris sans autre toutes les mesures décidées par les Etats Unis à l’encontre de la Russie et des citoyens Russes.
Une fois de plus, la communication était, pour utiliser un euphémisme, pour le moins discrète. La seule chose que le citoyen Suisse a pu apprendre, c’était que le Conseil fédéral avait pris cette décision après une pesée des intérêts. Lesquels ? Silence.
Quoique les Américains et les Européens nous racontent, l’ampleur de ces sanctions visent à étrangler l’économie Russe dans son ensemble, pas uniquement le complexe militaro-industriel. Les Etats-Unis veulent mettre la Russie à genoux. Il s’agit en l’occurrence très clairement d’actes de guerre.
La volte- face de notre Gouvernement a de quoi surprendre. Comment se fait-il, qu’en quelques jours l’on soit passé d’une attitude somme tout assez prudente et légaliste à souscrire sans broncher aux décisions prises à Washington ? La seule réponse plausible c’est que les Etats-Unis ont dû exercer une pression énorme, chantages inclus, sur nos Conseiller fédéraux.
Un fait qui ne trompe pas, dès la publication des décisions prises par la Suisse, le Président Biden s’est publiquement félicité de voir la Suisse rejoindre le camp occidental.
La Suisse n’avait-elle pas d’autre choix que de se soumettre au diktat de Washington ? Je ne suis pas convaincu. Quand bien même la marge de manœuvre était étroite, nos autorités auraient, me semble-t-il, pu faire valoir notre neutralité. De toute évidence ils ne l’ont pas fait.
Par son attitude pusillanime et veule le Conseil fédéral a, en quelques jours, jeté par-dessus bord notre neutralité. Il a jeté aux orties une de nos valeurs fondamentales chère aux Suisses et dont nous avons, à juste titre été fiers.
Cette guerre va prendre fin et le temps des règlements de comptes sonnera alors.
En sacrifiant avec tant de désinvolture notre neutralité, nous avons en même temps abandonné notre indépendance, donc notre souveraineté.
Nous nous sommes contentés de préserver dans l’immédiat notre confort matériel, sans trop nous soucier du long terme.
Ainsi avons-nous ouvert toute grande la porte à d’autres manœuvres de pressions et de chantages, dont nos soi-disant amis en sauront faire bon usage.
Quelle qu’ancienne que soit la neutralité suisse, elle a toujours postulé la prise de distance à l’égard des belligérants. Nous devrions dire presque toujours car, lors de la guerre de l’OTAN contre la Yougoslavie en 1999, le Conseil fédéral avait déjà transigé…
Mais, depuis l’invasion de l’Ukraine, ces mois derniers, Berne a fait beaucoup plus que transiger. Rappelons les faits.
Le 28 février 2022 le Conseil fédéral, qui est tout à la fois chef d’Etat et gouvernement suisse, prit une décision sans précédent aucun. Nonobstant la neutralité postulée par l’histoire, la Constitution fédérale et la prudence, il adhéra au principe des sanctions de l’Union européenne les 23 et 25 février à l’encontre de la Russie coupable d’agression… tout en réitérant ses bons offices !
Par la suite, les occidentaux ayant continuellement élargi la palette des sanctions, Berne annonça vouloir examiner la compatibilité des certaines de ces mesures avec notre Etat de droit et notre ordre juridique. Et, par une Ordonnance du 4 mars 2022, la Confédération reprit sans autre toutes les sanctions décrétées par les Etats-Unis et les Etats membres de l’OTAN à l’encontre de la Russie, de ses firmes, de plusieurs de ses nationaux ainsi que de leurs biens, ce qui lui valut les félicitations du Président Biden.
La double volte-face du Conseil fédéral a de quoi surprendre. Comment se fait-il que, en quelques jours, il soit passé d’une position certes déjà bien éloignée de la neutralité à un ralliement inconditionnel aux décisions prises par Washington ? La seule réponse plausible c’est que les Etats-Unis ont dû exercer sur Berne une pression énorme, sans précédent.
Il appartiendra aux historiens de la seconde moitié du siècle, lorsque les archives des affaires étrangères seront rendues publiques, de révéler en quoi exactement consistaient ces pressions, si elles comportaient des menaces particulières d’ordre économique, commercial ou autres et si elles incluaient aussi des interventions particulières auprès de certains de nos conseillers fédéraux.
Tentons de faire le bilan du double ralliement de Berne aux sanctions occidentales qui constituent, bien sûr, un double reniement de la neutralité. Sur le plan international, la Suisse a perdu toute possibilité d’intercéder à l’ONU, comme dans d’autres instances internationales, en faveur d’une solution pacifique aux hostilités qui, en réalité, sont en cours non seulement depuis le 28 février 2022 mais depuis 2014. Surtout, elle n’est plus en mesure d’offrir aux belligérants ses bons offices comme elle l’avait fait par le passé en maintes occasions, notamment en 1962 pour mettre fin à la guerre d’Algérie qui durait depuis 1954. De fait, la politique étrangère de la Suisse va à vau-l’eau depuis une vingtaine d’années et sa position actuelle sur le conflit russo-ukrainien n’en est que le plus spectaculaire aboutissement. En 2022 la Suisse a déserté non seulement sa neutralité mais aussi et surtout son rôle traditionnel au service de la paix. Pour éviter pareille défection, il aurait fallu que notre Conseil fédéral et chacun de ses membres fussent intransigeants sur l’indépendance et la souveraineté au sens rigoureux du droit international public et sussent résister aux pressions importunes.