L’OTAN admet que la guerre en Ukraine est la guerre de l’expansion de l’OTAN

Jeffrey D. Sachs[1]OtherNews, 19 septembre 2023

Pendant la désastreuse guerre du Viêt Nam, on a dit que le gouvernement américain traitait le public comme une champignonnière : il le maintenait dans l’ignorance et le nourrissait de fumier. Le célèbre Daniel Ellsberg a divulgué les « Pentagon Papers », documentant les mensonges incessants du gouvernement américain à propos de la guerre, afin de protéger les politiciens que la vérité aurait pu embarrasser. Un demi-siècle plus tard, pendant la guerre d’Ukraine, le tas d’ordure s’élève encore plus haut.

Selon le gouvernement américain et le toujours complaisant New York Times, la guerre d’Ukraine était « non provoquée », l’adjectif favori du New York Times pour décrire la guerre. Poutine, qui se serait pris pour Pierre le Grand, a envahi l’Ukraine pour recréer l’Empire russe. Pourtant, la semaine dernière, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a commis une gaffe à Washington, c’est-à-dire qu’il a accidentellement dit la vérité. 

Lors d’un témoignage devant le Parlement de l’Union européenne, M. Stoltenberg a clairement indiqué que c’était l’acharnement des États-Unis à élargir l’OTAN à l’Ukraine qui était la véritable cause de la guerre et qui expliquait qu’elle se poursuive aujourd’hui. Voici les mots révélateurs de Stoltenberg :

« Le contexte était le suivant : le président Poutine a déclaré à l’automne 2021, et a en fait envoyé un projet de traité qu’il voulait que l’OTAN signe, projet de traité par lequel elle promettrait de ne plus d’élargir de l’OTAN. C’est ce qu’il nous a envoyé. C’était une condition préalable pour ne pas envahir l’Ukraine. Bien entendu, nous ne l’avons pas signé.

C’est le contraire qui s’est produit. Il voulait que nous signions cette promesse de ne jamais élargir l’OTAN. Il voulait que nous retirions nos infrastructures militaires de tous les alliés qui ont rejoint l’OTAN depuis 1997, ce qui signifie que la moitié de l’OTAN, toute l’Europe centrale et orientale, nous devrions retirer l’OTAN de cette partie de notre Alliance, en introduisant une sorte de B, ou d’adhésion de seconde classe. Nous avons rejeté cette proposition.

Il est donc entré en guerre pour empêcher l’OTAN, plus d’OTAN, de s’approcher de ses frontières. Il a obtenu exactement le contraire.

Je le répète, il [Poutine] est entré en guerre pour empêcher l’OTAN, plus d’OTAN, de s’approcher de ses frontières. »

Poutine est entré en guerre pour stopper l’OTAN

Lorsque le professeur John Mearsheimer, moi-même et d’autres observateurs, avons dit la même chose, nous avons été attaqués en tant que panégyristes de Poutine. Ces mêmes critiques choisissent également de cacher ou d’ignorer carrément les mises en garde contre l’élargissement de l’OTAN à l’Ukraine, formulées depuis longtemps par de nombreux diplomates américains de premier plan, dont le grand homme d’État que fut George Kennan ainsi que les anciens ambassadeurs des États-Unis en Russie Jack Matlock et William Burns.

Burns, aujourd’hui directeur de la CIA, était ambassadeur des États-Unis en Russie en 2008 et auteur d’une note intitulée « Nyet means Nyet ». Dans cette note, Burns expliquait à la secrétaire d’État Condoleezza Rice que l’ensemble de la classe politique russe, et pas seulement Poutine, était résolument opposé à l’élargissement de l’OTAN. C’est parce que cette note a fait l’objet d’une fuite que nous en connaissons l’existence. Sans cela, nous n’aurions rien su.

Pourquoi la Russie s’oppose-t-elle à l’élargissement de l’OTAN ? Pour la simple raison que la Russie n’accepte pas la présence de l’armée américaine à sa frontière de 2 300 km avec l’Ukraine, dans la région de la mer Noire. La Russie n’apprécie pas que les États-Unis aient placé des missiles Aegis en Pologne et en Roumanie après avoir unilatéralement abandonné le traité sur les missiles antibalistiques (ABM).

La Russie n’apprécie pas non plus le fait que les États-Unis se soient engagés dans pas moins de 70 opérations de changement de régime pendant la guerre froide (1947-1989), et dans d’innombrables autres depuis, notamment en Serbie, en Afghanistan, en Géorgie, en Irak, en Syrie, en Libye, au Venezuela et en Ukraine. La Russie n’apprécie pas non plus le fait que de nombreux politiciens américains de premier plan prônent activement la destruction de la Russie sous prétexte de « décolonisation de la Russie ». Ce serait comme si la Russie appelait au démembrement des États-Unis en les séparant du Texas, de la Californie, d’Hawaï, des terres indiennes conquises ou de tout autre territoire.

Même l’équipe de Zelensky savait que la quête de l’élargissement de l’OTAN signifiait un risque imminent de guerre avec la Russie. Oleksiy Arestovych, un de ses anciens conseillers à la présidence, a déclaré qu’« avec une probabilité de 99,9 %, le prix à payer pour rejoindre l’OTAN serait une grande guerre avec la Russie. »

M. Arestovych continuait en prétendant que, même sans élargissement de l’OTAN, la Russie finirait par essayer de s’emparer de l’Ukraine, quelques années plus tard. Pourtant, l’histoire dément cette affirmation. La Russie a respecté la neutralité de la Finlande et de l’Autriche pendant des décennies, sans menaces graves, et encore moins d’invasions. En outre, depuis l’indépendance de l’Ukraine en 1991 jusqu’au renversement du gouvernement élu de l’Ukraine avec l’appui des États-Unis, en 2014, la Russie n’a pas manifesté d’intérêt pour s’emparer du territoire ukrainien. Ce n’est que lorsque les États-Unis ont mis en place un régime résolument antirusse et pro-OTAN en février 2014 que la Russie a récupéré la Crimée, craignant que sa base navale de la mer Noire (depuis 1783) ne tombe entre les mains de l’OTAN. 

Même à ce moment-là, la Russie n’a pas exigé d’autres territoires de l’Ukraine, mais seulement le respect de l’accord de Minsk II, soutenu par l’ONU, qui appelait à l’autonomie du Donbas ethniquement russe, et non à une revendication russe sur le territoire. Pourtant, au lieu de recourir à la diplomatie, les États-Unis ont armé, entraîné et aidé à organiser une énorme armée ukrainienne pour faire de l’élargissement de l’OTAN un fait accompli.

Dernière tentative

Poutine a fait une dernière tentative de règlement diplomatique à la fin de l’année 2021, en présentant un projet d’accord de sécurité avec les États-Unis et l’OTAN afin d’éviter une guerre. Le cœur du projet d’accord était la fin de l’élargissement de l’OTAN et le retrait des missiles américains situés près de la Russie. Les préoccupations de la Russie en matière de sécurité étaient valables et constituaient une base des négociations. Pourtant, M. Biden a catégoriquement rejeté toute négociation par une combinaison d’arrogance, d’esprit de faucon et d’une profonde erreur de calcul. L’OTAN a maintenu sa position, à savoir que l’OTAN ne négocierait pas avec la Russie au sujet de l’élargissement de l’OTAN et qu’en fait, l’élargissement de l’OTAN ne concernait pas la Russie. 

L’obsession persistante des États-Unis pour l’élargissement de l’OTAN est profondément irresponsable et hypocrite. Les États-Unis s’opposeraient – par la guerre, si nécessaire – à être encerclés par des bases militaires russes ou chinoises dans l’hémisphère occidental, comme ils le font depuis la doctrine Monroe de 1823. Pourtant, les États-Unis sont aveugles et sourds aux préoccupations légitimes des autres pays en matière de sécurité.

Alors, oui, Poutine est entré en guerre pour empêcher l’OTAN de se renforcer encore plus et de s’approcher de la frontière russe. L’Ukraine est détruite par l’arrogance des États-Unis, ce qui prouve une fois de plus l’adage d’Henry Kissinger selon lequel il est dangereux d’être l’ennemi de l’Amérique, mais qu’il est fatal d’être son ami.

La guerre en Ukraine prendra fin lorsque les États-Unis reconnaîtront une vérité simple : tout élargissement de l’OTAN à l’Ukraine signifie une guerre perpétuelle et la destruction de ce pays. La neutralité de l’Ukraine aurait pu éviter la guerre et demeure la clé de la paix. La vérité la plus profonde est que la sécurité européenne dépend de la sécurité collective telle qu’elle est préconisée par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), non des exigences unilatérales de l’OTAN.


[1] Professeur à l’université de Columbia, il est directeur du Centre pour le développement durable de l’Université Columbia et président du Réseau des solutions pour le développement durable des Nations unies. Il a été conseiller de trois secrétaires généraux des Nations unies et est actuellement défenseur des objectifs de développement durable auprès du secrétaire général António Guterres.

2 commentaires sur “L’OTAN admet que la guerre en Ukraine est la guerre de l’expansion de l’OTAN

  1. Excellent article qui dresse un procès accablant de l’OTAN qui a refusé avec une arrogance ivre de puissance de négocier avec la Russie éviter la guerre d’Ukraine. Quand on ferme les portes de la diplomatie que reste-t-il sinon la solution militaire? L’OTAN voulait la guerre contre la Russie sur le champ de bataille ukrainien et elle l’a obtenue.

    J’aime

  2. Indeniablement une excellente mise au point de la situation conflictuelle en Ukraine,sa raison d’être et les ressorts profonds de l’acharnement des USA à élargir
    indéfiniment l’alliance Atlantique aux dépens des impératifs securitaires russes.A propos,cette obsession de l’Amérique au fond imperialiste et expansionniste ds le monde a ete mise en exergue par le Professeur Charles Zorgbibe ds son opuscule le monde de l’apres-1945.une synthèse remarquable des facteurs historiques,anthropologiques et culturels qui restituent le fondement de cet égoïsme américain en définitive destabilusateur de par le monde…

    J’aime

Laisser un commentaire