Faire sombrer la neutralité de la Suisse ? – pas avec notre accord !

par Marianne Wüthrich, docteur en droit

Horizons et débats, Zurich, 

25 octobre 2022

Le changement de nom de la neutralité suisse en «neutralité coopérative», prévu par le Département des affaires étrangères (DFAE) du conseiller fédéral Ignazio Cassis, n’a pas été bien accueilli par l’ensemble du Conseil fédéral. Pour des raisons purement tactiques, semble-t-il. Selon la télévision suisse alémanique, on ne veut pas «soulever de la poussière dans cette situation géopolitique délicate», et ceci pour éviter, à tout prix, toute action qui puisse ouvrir la voie à l’initiative sur la neutralité dont la récolte de signatures débutera prochainement: «Si le Conseil fédéral assouplissait maintenant très officiellement la politique de neutralité, ce serait du pain béni pour le camp adverse, c’est-à-dire pour les initiants.»1 Le fait que les citoyennes et citoyens faisant usage de leurs droits de démocratie directe soient considérés, par la classe politique, comme le «camp adverse» est l’un des phénomènes inacceptables des temps récents. M. Franz Grüter, conseiller national (UDC,) et Mme Priska Seiler Graf (PS), conseillère nationale, font contrepoids à de telles tentatives en insistant, sur les principes de la neutralité et de la démocratie directe.

Pour minimiser le fait que le Conseil fédéral a pratiquement supprimé la neutralité suisse depuis six mois, il enferme certes le rapport de Cassis sur la neutralité dans un tiroir, mais poursuit son objectif d’intégration de notre pays dans l’OTAN/UE par un autre biais: au travers du rapport sur la sécurité du Département de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS), dont la conseillère fédérale, Mme. Viola Amherd, a également présenté sa nouvelle version début septembre.2

«Nouvelle étape de la coopération avec l’OTAN» 
véritable boîte de Pandore

Le rapport complémentaire pose la question, déplacée, de savoir si la conception suisse de la neutralité est encore d’actualité «pour tenir compte de l’équilibre entre la neutralité et la solidarité avec la communauté des valeurs occidentales» (p. 12, souligné mw.).
    Cet exercice d’équilibre entrepris du DDPS, est détaillé de la sorte: «Au vu de la guerre en Ukraine, il est dans l’intérêt de la Suisse d’axer sa politique de sécurité et de défense sur la coopération avec ses partenaires de manière plus conséquente que jusqu’à présent». (p. 18) Comme si les turbos suisses de l’OTAN n’avaient pas œuvré infatigablement à l’association plus étroite de la Suisse avec l’OTAN bien avant février 2022, et même bien avant le putsch de Maidan en 2014! Voici en bref quelques-uns des projets les plus envahissants du programme du Conseil fédéral :

  • Participation de l’armée suisse aux «exercices militaires de l’OTAN sur tout le spectre», y compris aux «exercices de défense commune» (p. 21). 
  • Invitation de troupes de l’OTAN à des exercices en Suisse (p. 21).
  • «L’OTAN pourrait vérifier, si besoin, l’interopérabilité et les capacités militaires des formations de l’armée en Suisse aussi». (p. 22) 
  • Participation de l’armée suisse au sein des formations spéciales OTAN d’intervention rapide, : «Cette participation devrait toutefois être conçue de manière à être compatible avec la neutralité […].» (p. 22) 

Il saute aux yeux qu’aucune de ces propositions n’est «compatible avec la neutralité»! Avec un tel programme, la phrase suivante, en guise de profession de foi mais prononcée du bout des lèvres, ne convainc guère non plus: «Une adhésion à l’OTAN, qui signifierait la fin de la neutralité, n’est pas une option pour la Suisse». (p.18) Le conseiller national Franz Grüter, président de la Commission de politique extérieure du Conseil national, qualifie de tels projets du Conseil fédéral de «politique malhonnête» (voir interview).

Intégration militaire dans l’UE ?

Dans ce domaine, le rapport complémentaire du DDPS voit également des possibilités d’extension, par exemple la participation à des projets de coopération structurée permanente (Permanent Structured Cooperation, Pesco) (p. 23) ou la «formalisation» des consultations en matière de politique de sécurité avec l’UE (p. 24). Avons-nous là affaire à un nouvel accord bilatéral invitant Bruxelles à réitérer, comme cela est devenu habituel, ces pressions sur la Suisse ? 

La tâche est ailleurs : contribuer à la paix
et à la stabilité au-delà de nos frontières

Au moins un des auteurs du rapport complémentaire du DDPS s’est encore souvenu des véritables objectifs de la politique de sécurité suisse : «L’objectif supérieur de la politique de sécurité suisse reste inchangé : protéger la capacité d’action, l’autodétermination et l’intégrité de la Suisse et de sa population ainsi que leurs bases d’existence contre les menaces et les dangers et contribuer à la paix et à la stabilité au-delà de nos frontières». (p. 16) En nous intégrant dans les formations guerrières de l’OTAN et de l’UE, nous ne pouvons ni protéger la sécurité de la Suisse et de sa population ni apporter notre contribution à la paix mondiale. «Contribuer à la paix et à la stabilité au-delà des frontières» doit donc être replacé au centre de la politique étrangère suisse. Un tel but n’est accessible qu’en respectant le principe de neutralité.•



Brändlin, Roger. «Bundesrat will nichts ändern an Neutralitätspolitik.» (Le Conseil fédéral ne veut rien changer à la politique de neutralité). dans: SRF News. Echo der Zeit du 07/09/2022
Rapport complémentaire au Rapport sur la politique de sécurité 2021 sur les conséquences de la guerre en Ukraine. Rapport du Conseil fédéral de 2022 (provisoire)

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