par Thomas Andres
juriste
Pour tout pays, le fait de se déclarer neutre est un acte fondamental.
Le citoyen est en droit à s’attendre qu’une déclaration aussi forte, figure en bonne place dans sa Charte fondamentale et que les contours soient précisés.
Or, en Suisse, rien de tout cela. Notre Constitution fédérale ne mentionne qu’à deux reprises le mot « neutralité » – et encore presque en marge. En effet, il faut aller aux articles qui parlent des obligations de l’Assemblée fédérale et du Conseil fédéral pour y trouver les références.
Ce sont l’article 173 litt. a et 185 al. 1 qui enjoignent ces deux institutions à « préserver notre indépendance et notre neutralité ».
C’est en vain que le curieux cherchera une réponse en quoi consiste cette neutralité.
Depuis que la Confédération Helvétique existe, soit depuis 1848, nos autorités ont toujours fait prévaloir notre neutralité en cas de crises et de conflits. Dans ce domaine, les politiques du Conseil fédéral ce sont systématiquement adaptées aux situations du moment et ont été empreintes de pragmatisme.
Jusqu’à la deuxième guerre mondiale cette approche était respectée par tous et nous a préservés de bien des malheurs.
Après 1945, l’ordre mondial a été totalement bouleversé.
Très vite deux blocs se sont formés. D’un côté les capitalistes et de l’autre les communistes.
Bien que fondamentalement capitaliste, la politique de neutralité de la Suisse s’est assez rapidement adaptée à cette nouvelle donne. Elle a su faire admettre par la communauté internationale que la neutralité était une valeur au-dessus des positions idéologiques. Nos Gouvernements successifs se sont employés à établir des liens entre les partis antagoniques ; ils l’ont fait avec discrétion et constance.
Après la disparition de l’Union Soviétique en 1989 et la fin de la guerre froide, il ne suffisait plus de se dire neutre, encore fallait-il que ceux auxquels cette affirmation s’adresse y consentent.
C’est à partir de là que nos gouvernants successifs font preuve d’une certaine incapacité à définir une ligne claire de ce qu’ils entendent par « neutralité » et à fixer les lignes rouges à ne pas dépasser ; ânonner que nous avons une neutralité armée ne veut strictement rien dire.
Depuis lors, de nouveau blocs se sont formés et nos principaux et plus puissants partenaires ne font pas grand cas de notre neutralité. D’autre part, notre Conseil fédéral ne peut ou n’ose pas imposer sa vision.
Pour un petit pays de 41’285 km/2 et une population de 8,5 millions d’habitants, il n’est de loin pas évident de pouvoir s’affirmer dans un tel environnement.
En plus, les conséquences des tensions entre les occidentaux et les pays asiatiques qui se font jour et qui dégénèrent dans bien des cas dans des conflits ouverts, n’épargnent pas notre pays.
Notre position est devenue plus précaire, elle exige de la part de notre Gouvernement des efforts particuliers. Nos Conseillers fédéraux devraient expliquer, convaincre, encore et toujours que notre neutralité sert et favorise le dialogue, la paix. Or, si une chose que nos dirigeants ne savent pas faire, c’est communiquer. Notre Gouvernement est obsédé d’être le premier de classe, donc surtout ne pas déplaire et ne pas déranger.
Ne nous leurrons pas, lorsque les grands de ce monde se rencontrent à Genève, ce n’est pas pour notre neutralité. Le deuxième siège de l’ONU dans notre ville joue un rôle important, en outre, les compétences organisationnelles bien rôdée au fil des années avec les multiples rencontres dans le cadre de l’organisation précitée sont très appréciées.
Aujourd’hui, en 2023, le monde est plus que jamais scindé en deux grands blocs, autour desquels gravitent une myriade d’Etats satellites. Ici Washington, impérialiste et sûre d’elle, là Péking, tout aussi consciente de sa puissance et pressée de dépasser les Etats Unis.
Jusqu’au mois de février 2022 nous avons encore pu jongler entre les deux et nous bercer de l’illusion d’être neutre. L’agression de la Russie sur l’Ukraine nous a brutalement fait atterrir sur le terrain de la réalité. Les pays occidentaux, Washington et ses affidés de l’UE, nous ont enjoint de choisir : vous êtes avec nous ou contre nous. Il s’agissait de reprendre telles quelles les sanctions décidées par les Etats-Unis. Dans les faits ce fut un non-choix.
A partir du 28 février 2022 le Gouvernement Helvétique décide d’adhérer au principe des sanctions à l’encontre de la Russie. A ce moment-là il s’agissait d’exclure de nos activités économiques tous les biens en relation avec l’Etat Russe et susceptibles de favoriser la poursuite de la guerre. Par la suite, les occidentaux ont continuellement élargi la palette des sanctions et s’en sont pris aux biens de personnes physiques. Le Gouvernement Suisse a alors déclaré aux médias vouloir examiner la compatibilité de certaines de ces mesures avec notre Etat de droit et notre ordre juridique. Or, par une Ordonnance du 4 mars 2022, la Confédération a repris sans autre toutes les mesures décidées par les Etats Unis à l’encontre de la Russie et des citoyens Russes.
Une fois de plus, la communication était, pour utiliser un euphémisme, pour le moins discrète. La seule chose que le citoyen Suisse a pu apprendre, c’était que le Conseil fédéral avait pris cette décision après une pesée des intérêts. Lesquels ? Silence.
Quoique les Américains et les Européens nous racontent, l’ampleur de ces sanctions visent à étrangler l’économie Russe dans son ensemble, pas uniquement le complexe militaro-industriel. Les Etats-Unis veulent mettre la Russie à genoux. Il s’agit en l’occurrence très clairement d’actes de guerre.
La volte- face de notre Gouvernement a de quoi surprendre. Comment se fait-il, qu’en quelques jours l’on soit passé d’une attitude somme tout assez prudente et légaliste à souscrire sans broncher aux décisions prises à Washington ? La seule réponse plausible c’est que les Etats-Unis ont dû exercer une pression énorme, chantages inclus, sur nos Conseiller fédéraux.
Un fait qui ne trompe pas, dès la publication des décisions prises par la Suisse, le Président Biden s’est publiquement félicité de voir la Suisse rejoindre le camp occidental.
La Suisse n’avait-elle pas d’autre choix que de se soumettre au diktat de Washington ? Je ne suis pas convaincu. Quand bien même la marge de manœuvre était étroite, nos autorités auraient, me semble-t-il, pu faire valoir notre neutralité. De toute évidence ils ne l’ont pas fait.
Par son attitude pusillanime et veule le Conseil fédéral a, en quelques jours, jeté par-dessus bord notre neutralité. Il a jeté aux orties une de nos valeurs fondamentales chère aux Suisses et dont nous avons, à juste titre été fiers.
Cette guerre va prendre fin et le temps des règlements de comptes sonnera alors.
En sacrifiant avec tant de désinvolture notre neutralité, nous avons en même temps abandonné notre indépendance, donc notre souveraineté.
Nous nous sommes contentés de préserver dans l’immédiat notre confort matériel, sans trop nous soucier du long terme.
Ainsi avons-nous ouvert toute grande la porte à d’autres manœuvres de pressions et de chantages, dont nos soi-disant amis en sauront faire bon usage.