Pourquoi la guerre au Yémen est aussi la nôtre

C’est un cri d’alarme que lance l’ancienne ministre Jeannette Bougrab.(*) Le Yémen est le théâtre d’un carnage. Mais l’Occident a tort de fermer les yeux.

par Laurance N’Kaoua

Source : Les Echos, 27 novembre 2020

https://www.lesechos.fr/idees-debats/livres/pourquoi-la-guerre-au-yemen-est-aussi-la-notre-1268856

Elle n’a rien perdu de son ardeur. Cette fois encore, Jeannette Bougrab se dresse, d’un trait de plume, contre l’obscurantisme, désormais à l’oeuvre dans les désordres du monde. 

Courageuse, d’une écriture acérée et émouvante, l’ancienne secrétaire d’Etat de Nicolas Sarkozy raconte les ravages, au Yémen, d’un conflit oublié. Elle dénonce une bataille par procuration, à coups de frappes aériennes, entre l’Iran et l’Arabie saoudite, dans un pays morcelé, déchiré, tandis que l’Occident détourne le regard, silencieux, parfois complice. Et Jeannette Bougrab de démontrer, implacablement, combien ce désastre humanitaire, pourtant lointain, ébranle, insidieusement, les valeurs de la République. 

A travers les méandres de l’histoire, l’avocate retrace les calculs de Riyad, notre allié, pour ancrer sa puissance sur l’échiquier international. Sous le joug du prince Mohammed ben Salmane, ce royaume, sans racines, abîme jusqu’à le dissoudre le berceau de l’humanité pour asseoir son pouvoir : « Le jeune prince joue à la guerre. Les Yéménites en meurent. » Ce sont 19.278 frappes – un déluge de bombes – de l’Arabie saoudite et de ses alliés qui ont semé la désolation entre 2015 et 2019. La France aurait, pourtant, montre-t-elle, son mot à dire…Extraits

LE SILENCE. « Ainsi va le Yémen occupé, où les cadavres s’empilent sur les ruines, et où les ruines recouvrent les cadavres. De temps à autre, un photographe, un journaliste réussit à briser le mur du silence… Si les millions de Yéménites qui fuient les combats venaient en Europe, sans doute nous intéresserions-nous davantage à ce drame. Mais voilà, les Yéménites meurent chez eux […] Les purges ont lancé l’alerte. La mort du journaliste Jamal Khashoggi sonne l’alarme. Pourtant, un simple examen de l’actualité depuis 2015 aurait suffi à constater l’abîme toujours plus profond, au royaume saoudien, entre les mirages de l’image et la réalité des faits. »

LA LOGIQUE. « La catastrophe qui frappe le Yémen est double, elle est humanitaire et patrimoniale […] On n’abaisse jamais autant un peuple qu’en abolissant son histoire. Trois mille ans d’une civilisation qui nous relie aux origines sont ainsi en train de voler en éclats sous les bombes larguées par les avions saoudiens […] Cette volonté de destruction ne se réduit pas à la démolition physique de sites anciens, elle contribue à progressivement effacer une mémoire collective, ferment d’une identité commune. Là est la vraie cible des Saoudiens […] c’est une constante des islamismes de toute sorte que de vouloir éradiquer l’humanité historique, à commencer par son expression musulmane. Il n’y va, en aucun cas, d’un vandalisme irrationnel mais d’une logique politico-religieuse… »

LES ARMES. « Il n’y a pas lieu de céder à un illusoire angélisme – je n’en ai jamais été partisane, étant convaincue que la tentation de la pureté sert de masque à la sacralisation de la violence […] Mais sur 2017 […] Paris livre à Riyad pour 1,381 milliard d’équipement militaire. En quelques exercices de ce singulier commerce, le royaume wahhabite est devenu le deuxième client de la République française. »

Laurance N’Kaoua

Jeannette Bougrab, Un silence de mort, Editions du Cerf, 238 pages, 20 euros, paru le 7 novembre 2020.

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