L’agression de l’OTAN contre la Yougoslavie en 1999, un tournant historique

par Živadin Jovanović, (*)

Forum de Belgrade pour un monde égalitaire

Source : Horizons et débats

Zurich, numéro du 11 avril 2023

Le 24 mars, le Forum de Belgrade pour un monde égalitaire, l’Association serbe des généraux et amiraux, l’Association serbe des anciens combattants SUBNOR et d’autres associations et groupes de réflexion indépendants ont commémoré le 24e anniversaire de l’agression de l’OTAN contre la Serbie et le Monténégro (République fédérale de Yougoslavie). A cette occasion solennelle, ils ont rendu hommage aux héros tombés pour la défense du pays ainsi qu’à  toutes les victimes de cet acte illégal et criminel.

Lors de la conférence au niveau suprême de l’OTAN se tenant du 28 au 30 avril 2000, à Bratislava, les représentants des Etats-Unis avaient expressément confirmé aux alliés et aux candidats à l’alliance de l’é poque les trois buts principaux de leur guerre contre la Yougoslavie: détacher le Kosovo (et Metohija) de la Serbie et en faire un Etat distinct et indépendant; faire de ce nouvel Etat la base des troupes américaines dans les Balkans créer un précédent pour les interventions militaires de l’OTAN dans le monde entier et réalisées sans l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU.

La guerre contre la Serbie –
démonstration de l’usage illimité de la force 

L’agression de l’OTAN a été largement perçue comme une démonstration – au premier chef à l’intention de la Russie – de l’usage illimité de la force. Dans ce contexte géopolitique, il ne faut pas oublier que les avions américains ont également profité de l’occasion pour bombarder l’ambassade de Chine à Belgrade, tuant trois journalistes chinois, bombardement que l’OTAN a ensuite attribué à une erreur due à l’emploi d’une carte non-actualisée par les pilotes, une explication qui est très peu plausible.
    Tout le monde le sait, cette agression a violé les principes fondamentaux du droit international et de la Charte des Nations unies et elle a été menée sans l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU. Compte tenu du fait que la Yougoslavie ne constituait une menace pour aucun pays membre de l’OTAN, les dirigeants de cette dernière ont ainsi enfreint leur propre acte fondateur, tandis que les pays membres de l’OTAN ont bafoué leurs propres constitutions en agissant sans l’autorisation de leurs parlements respectifs.
    Alors que cette attaque a été présentée à tort par les divers médias nationaux comme une intervention «humanitaire», il faut y voir en réalité un fait de guerre en vue d’une expansion politique de l’OTAN (et ainsi des Etats-Unis) vers l’Est en direction des frontières russes qui a également constitué un précédent pour les autres agressions américaines à venir – l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Syrie … Le déploiement immédiat de la grande base militaire américaine «Bondsteel» près d’Urosevac, au Kosovo et à Metohija, n’était que la première d’une longue série de nouvelles bases militaires américaines en Europe centrale et orientale, en Bulgarie (3), en Roumanie (3) et en Pologne …

La militarisation de l’Europe

Ainsi, l’OTAN a non seulement, et pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, ramené la guerre en Europe mais a parallèlement donné une impulsion extraordinaire au processus de remilitarisation intensive du vieux continent. Tous les pays membres ont été obligés de consacrer 2 % de leur PIB aux dépenses militaires, adapter les infrastructures civiles aux nouvelles exigences militaires, limiter la vente de grandes entreprises aux seuls investisseurs potentiels de l’UE et de l’Otan («pour des raisons de sécurité»), cesser d’importer de nouvelles technologies de «fournisseurs non fiables» (5G) et stopper les achats de gaz et de pétrole à ceux qui y ont recours «pour saper la sécurité de l’Europe».
    Des missiles, dont certains à l’uranium appauvri, incluant notamment des bombes à fragmentation, se sont bel et bien abattus sur la Serbie et le Monténégro, causant des pertes humaines et détruisant l’économie locale. La Serbie ne se remet que lentement des immenses pertes économiques et sociales qu’elle a subies. A Belgrade et dans d’autres grandes villes, même dans les quartiers centraux, on trouve les vestiges de bâtiments gouvernementaux et officiels en ruine suite  aux bombardements par l’OTAN. Cependant, au travers de son agression de 1999 contre la Serbie et le Montenegro, l’OTAN a parallèlement mis à mal toute la structure de sécurité et de coopération de l’Europe et du monde, en invalidant Téhéran, Yalta, Potsdam, Helsinki et d’autres accords et piliers de l’ordre consécutif à la Seconde Guerre mondiale et réinstallant ainsi le désordre, l’insécurité, voire le chaos.

L’agression contre la Serbie se poursuit

L’agression de l’OTAN a pris fin (en 1999) avec la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui garantit la souveraineté et l’intégrité territoriale de la RFY (Serbie) et une grande autonomie pour la province du Kosovo et de Metohija au sein de la Serbie. Depuis, l’agression se poursuit toutefois sur un autre terrain. L’objectif visant à détacher de la Serbie la province autonome évolue dans un nouveau contexte : Alors que la province était placée sous mandat de l’ONU et que la Kfor était principalement composée de troupes de l’OTAN chargées de garantir la même sécurité pour tous, 250 000 Serbes environ ainsi que divers non-Albanais ont été expulsés, leurs maisons incendiées et leurs terres expropriées. En 2008, les ex-dirigeants terroristes de l’UÇK ont proclamé la sécession unilatérale. Les pays de l’OTAN et de l’UE, à l’exception de l’Espagne, de la Roumanie, de la Slovaquie, de la Grèce et de Chypre, ont été parmi les premiers à reconnaître la sécession, bien que sachant qu’elle était une violation du droit international, de la résolution 1244 de l’ONU et de la Constitution serbe.

Ces derniers temps, la Serbie subit une pression sans précédent de la part de l’alliance Etats-Unis/OTAN/UE pour la levée de son veto à l’adhésion du Kosovo aux organisations internationales, y compris l’ONU, l’établissement de relations de bon voisinage sur une base égalitaire de respect mutuel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale, la reconnaissance préalable et mutuelle des symboles étatiques et nationaux l’instauration de relations avec le Kosovo sur une base quasi-diplomatique. Sous prétexte de « normaliser les relations », l’Occident, sous le leadership des Etats-Unis, tente en réalité de forcer la Serbie à reconnaître de facto un nouvel Etat, celui du Kosovo, issu de l’agression de l’OTAN en 1999. Les promesses d’adhésion à l’UE, les investissements et les dons ont été instrumentalisés afin de forcer la Serbie à reconnaître la sécession d’une partie de son propre territoire et à renoncer ainsi à tous les droits fondés sur le droit international, la Charte des Nations unies, les garanties du Conseil de sécurité de l’ONU et sa propre Constitution. Toutes ces exigences sont contenues dans le soi-disant «Accord de normalisation des relations entre le Kosovo et la Serbie», présenté à la Serbie le 27 février 2023 et confirmé le 18 mars 2023 à Ohrid, en Macédoine du Nord, sous la forme d’un ultimatum plus ou moins ouvert. Curieusement, cet ultimatum, accompagné de menaces de sanctions et de restrictions économiques, financières et autres en cas de non-respect, a été entériné par le Conseil européen le 24 mars 2023, date à laquelle l’OTAN avait commencé à bombarder Belgrade, Priština et d’autres villes serbes, il y a exactement 24 ans.

Les véritables raisons de la politique
de l’OTAN dans les Balkans

Quelles sont les véritables raisons de tout cela ? Elles sont multiples: favoriser l’adhésion à l’OTAN du Kosovo ainsi que son éventuel rattachement à l’Albanie; parvenir à une «OTANisation» complète des Balkans, incluant la Serbie et la Bosnie-Herzégovine; éradiquer la présence russe et chinoise des Balkans; lever les objections de cinq Etats membres de l’UE (dont quatre sont membres de l’OTAN) à la reconnaissance de la sécession unilatérale du Kosovo et ainsi rétablir l’unité au sein des alliances.

En 1999, l’agression de l’OTAN contre la Serbie et le Monténégro (RFY) a marqué le tournant de l’Alliance, qui est passée de la défense à l’agression, d’une Europe partiellement autonome à sa soumission totale aux Etats-Unis dans leur quête de mondialisation de l’interventionnisme et de confrontation globale avec la Russie et la Chine. Bien que cet évènement ait semblé être le point culminant de l’arrogance unipolaire et de l’hégémonie des Etats-Unis/OTAN, il n’en reste pas moins un rappel à l’ordre pour tous ceux qui croient en un nouvel ordre mondial démocratique. •

(Traduction Horizons et débats)

(*) Živadin Jovanović fut Ministre des affaires étrangères de Yougoslavie du 9 janvier 1998 au 4 novembre 2000, donc pendant la guerre du Kosovo du 24 mars au 11 juin 1999.  (Note du responsable du blog La paix mondiale menacée.)

Réflexions sur le piège Ukrainien

par Ivo Rens

Professeur honoraire

Faculté de droit

Université de Genève

Que la guerre soit de retour en Europe, c’est là un scandale qui, il y a quelques années encore, paraissait impensable. Rien de plus normal que l’Etat, le chef d’Etat et le gouvernement du pays agresseur, soient voués aux gémonies. La guerre n’est-elle pas le crime contre l’humanité par excellence ? Il était donc prévisible que l’immense majorité de l’opinion publique des pays occidentaux condamnerait l’agresseur russe, s’identifierait au peuple ukrainien martyr, voire volerait à son secours et que la presse et tous les médias surenchériraient jusqu’aux limites de la cobelligérance.

Mais si cela était prévisible, n’est-il pas pensable que cela avait été prévu, progressivement fomenté et même en partie préparé par des cercles de faucons qui ont infiltré les instances mêmes dont la raison d’être est d’organiser la sécurité militaire des nations occidentales ? Telle est l’hypothèse que nous avons avancée dans l’article libellé Le piège ukrainien (1) et développé dans le document intitulé Autour du piège ukrainie,(2) publiés respectivement les 24 février et 6 juin 2022. 

Bien que très minoritaire, cette thèse a été soutenue, moyennant quelques variantes pas certains auteurs comme en témoignent le livre de Benjamin Abelow, How the West brought war to Ukraine, paru en août 2022, dont Jean-Guy Rens a rendu compte dans l’article Pourquoi la guerre d’Ukraine n’a pu être évitée (3) et l’interview de l’amiral Jean Dufourck réalisée par Alain juillet en février 2023 sous le titre L’Ukraine, le piège. (4)

Cette thèse suscite souvent l’indignation de ceux qui la soupçonnent de complaisance à l’égard de Moscou. Pourtant c’est à tort, nous semble-t-il, car elle ne disculpe nullement la Russie mais incrimine assurément aussi Washington qui en étendant l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie, tout en dénonçant, un à un, les traités de limitation des armes nucléaires, a délibérément insécurisé les Russes. A la vérité, elle incrimine tout autant la servilité des dirigeants des Etats européens membres de l’OTAN. La responsabilité de la guerre en Ukraine n’incombe pas exclusivement aux Russes comme voudrait le faire croire un narratif en forme de conte pour enfants. Que cette responsabilité soit partagée devrait permettre de trouver plus facilement une voie vers la paix et mettre fin à la poursuite de destructions et de massacres abominables.

Rien ne menace plus la paix mondiale que l’aveuglement sur le partage des responsabilités dans la genèse du conflit en cours.

(1) https://worldpeacethreatened.com/2022/02/26/le-piege-ukrainien/

(2) https://worldpeacethreatened.com/2022/06/06/autour-du-piege-ukrainien/

(3) https://worldpeacethreatened.com/2023/04/03/pourquoi-la-guerre-dukraine-na-pu-etre-evitee/

(4) https://www.youtube.com/watch?v=KEzmzBc2Rpo

Pourquoi la guerre d’Ukraine n’a pu être évitée 

par Jean-Guy Rens

Conseil en études stratégiques

Montréal 31 mars 2023

Réflexions sur l’ouvrage de Benjamain Abelow intitulé How the West brought war to Ukraine: Understanding How US and NATO Policies Led to Crisis, War, and the Rise of Nuclear Catastrophe, paru en août 2022.

George Kennan, visonnaire de la paix par-delà la guerre froide

À l’annonce du vote du Sénat américain en faveur de l’expansion de l’OTAN en direction des pays de l’Europe de l’Est en 1998, le diplomate à la retraite George Kennan avait eu ce commentaire cinglant : « Pendant la guerre froide, nos divergences portaient sur le régime communiste soviétique. Et maintenant, nous tournons le dos à ceux-là mêmes qui ont organisé la plus grande révolution sans effusion de sang de l’histoire pour renverser ce régime soviétique. »[1]

George Kennan avait été l’architecte du concept d’endiguement (containment) qui fut au cœur de la stratégie américaine tout au long de la guerre froide. De mai 1944 à avril 1946, il avait été chef de mission à Moscou. À son retour aux États-Unis, il avait publié un article dans la revue Foreign Affairs sous le pseudonyme de X, qui expliquait la politique étrangère soviétique comme visant à renverser le capitalisme au terme d’une évolution historique inéluctable et non par la guerre.[2]

En conséquence de quoi, l’article préconisait le déploiement par les États-Unis de politiques, économiques et idéologiques (y compris des opérations secrètes), mais pas militaires. Il a répété à plusieurs reprises, à l’époque et tout au long de sa vie, qu’il n’avait jamais eu l’impression que les Soviétiques étaient sur le point d’envahir militairement l’Europe occidentale.

Quoiqu’il en soit, l’empire soviétique s’est effondré sans coup férir, libérant les anciennes républiques soviétiques et conduisant à toute une série d’accords sur le contrôle des armements : Traité de réduction et de limitation des armes stratégiques offensives (1991), Traité Ciel ouvert (1992) et traité d’interdiction complète des essais nucléaires (1996). À cette liste, il convient d’ajouter le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) qui, bien que conclu à la fin de la période soviétique (1987), participait déjà de l’esprit de libéralisation à venir.

Face au courage des démocrates russes qui ont démantelé l’Union soviétique, quelle est la réponse des États-Unis? L‘administration de Bill Clinton élargit l’OTAN à la Pologne, la Hongrie et la République tchèque et publie des lignes directrices pour l’adhésion du reste de l’Europe de l’Est. George Kennan conclut avec désespoir : « Je pense que c’est le début d’une nouvelle guerre froide. Je pense que les Russes vont progressivement réagir de manière très négative et que cela modifiera toute leur politique. Je pense que c’est une erreur tragique. Il n’y avait aucune raison à cela. Personne ne menaçait quiconque. »[3]

Ce n’est pas tout. George Kennan ajoute à l’intention de son intervieweur : « Bien sûr que la Russie aura une mauvaise réaction et ensuite [les partisans de l’élargissement de l’OTAN] diront que nous vous avons toujours dit que les Russes étaient comme ça. Mais c’est tout simplement faux. »[4] C’est la définition même de la prophétie autoréalisatrice : on désigne l’autre comme l’ennemi, l’autre proteste, donc on avait raison de le qualifier d’ennemi.

Cette interview de George Kennan en 1998 à elle seule anticipe l’ouvrage du Dr Benjamin Abelow intitulé “How the West Brought War to Ukraine”.[5] L’auteur est un médecin spécialisé dans les questions d’armement nucléaire, donc tout spécialement sensibilisé au danger que fait courir un conflit entre puissances nucléaires. Loin de lui l’idée d’exonérer la Russie pour son invasion de l’Ukraine. Une guerre est un acte criminel et celui qui la déclenche doit en porter la responsabilité.

L’expansion de l’OTAN au-delà de la fable des « bons » et des « méchants »

Mais pourquoi la Russie a-t-elle envahi l’Ukraine? Le Dr Benjamin Abelow réfute la fable que l’on raconte dans les médias occidentaux : « L’histoire d’une Russie maléfique, irrationnelle et intrinsèquement expansionniste, dirigée par un leader paranoïaque, opposée à la vertu des États-Unis et de l’Europe, est une confabulation nébuleuse et étrange, incompatible avec toute une série d’événements concordants au cours des 30 dernières années. »(*)

Il insiste sur l’importance de procéder à une analyse précise des origines du conflit : « L’objectif premier de ce livre est de corriger un récit erroné, et ce pour une raison très pratique : les récits erronés conduisent à des effets néfastes. Tous les récits débouchent inévitablement sur des comportements ; ils sont à la fois descriptifs et contributifs. En fonctionnant comme des modélisations de la réalité, les récits servent de guide pour l’action. Ensuite, par la dynamique entre action et réaction, force et contre-force, ils peuvent produire les résultats qu’ils prétendent être déjà présents. »(*)

Le questionnement du Dr Abelow l’oblige à remonter à la période qui précède immédiatement dissolution de l’Union soviétique : « L’histoire commence en 1990, alors que l’Union soviétique touche à sa fin, les dirigeants occidentaux cherchent à réunifier l’Allemagne de l’Est et l’Allemagne de l’Ouest sous les auspices de l’OTAN. Pour ce faire, Moscou devait accepter de retirer ses quelque 400 000 soldats d’Allemagne de l’Est. Pour apaiser Moscou, les dirigeants occidentaux ont fait savoir que l’OTAN ne s’étendrait pas à l’est vers la frontière russe. »(*)

George Kennan ne disait pas autre chose quand il déplorait l’expansion de l’OTAN. Certes, aucun traité ou accord n’a été signé à l’occasion des négociations qui ont présidé au retrait d’Allemagne des forces soviétiques : « En décrivant cet épisode, écrit le Dr Abelow, je ne suggère pas que les assurances occidentales étaient juridiquement contraignantes. (…) Je tiens simplement à souligner que l’Occident a agi d’une manière calculée pour tromper Moscou et que cet épisode a jeté les bases d’un sentiment russe grandissant selon lequel l’OTAN, et les États-Unis en particulier, n’étaient pas dignes de confiance. »(*)

Aujourd’hui, le narratif occidental veut que ces assurances n’aient jamais été données. Les comptes rendus des nombreuses réunions OTAN-URSS de l’époque démentent cette légende dorée voulant que les troupes d’occupation soviétiques aient disparu d’Allemagne sans discussions préliminaires, comme sur un acte de baguette magique. D’ailleurs, le ministre français des Relations extérieures de l’époque, Roland Dumas, a confirmé ces engagements dans une interview donné au site web économique Les Crises à la veille de l’invasion de l’Ukraine.[1]

Les dénégations actuelles servent juste à souligner la mauvaise foi des faiseurs d’opinion –dirigeants et médias–aujourd’hui. Il s’agit d’une récriture manifeste de l’histoire. Car à la limite, il importe peu de savoir quelles furent exactement les termes de l’engagement occidental. Les faits demeurent : les troupes russes ont été retirées d’Allemagne et l’OTAN a réarmé immédiatement les pays libérés.

La destruction des accords sur le désarmement

Sitôt après que la situation de force a été inversée en Europe de l’Est, les États-Unis ont dénoncé un à un les accords sur le contrôle des armements :

  • 2002, retrait du Traité antimissile (ABM);
  • 2019, retrait du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI);
  • 2020: retrait du Traité « Ciel ouvert » qui permettait aux deux pays de conduire des vols de reconnaissance sur le territoire de l’autre.

« Mises ensemble, ces trois dates marquent le retour de la course aux armements et les États-Unis en sont les grands responsables. » (*)

Une des raisons invoquées était que la Chine n’était pas partie prenante à ces traités et pouvait continuer à s’armer. Il s’agit d’une excuse assez théorique si on considère la modestie des armements déployés par la Chine par rapport aux États-Unis. Toujours est-il que la Russie réagit en cherchant à négocier de nouveaux engagements sur le déploiement des missiles. Le Dr Abelow explique : « Ces restrictions et moratoires auraient pu permettre aux États-Unis et à la Russie de faire une pause en matière d’armes mutuellement ciblées afin de déployer des armes contre la Chine. Les États-Unis ont toutefois rejeté la proposition russe. » (*)

Les États-Unis considéraient l’affaire des forces nucléaires à portée intermédiaire comme une affaire classée et le Dr Abelow cite longuement le major Brennan Deveraux qui est un stratège de l’armée américaine spécialisé dans l’artillerie à roquettes et la guerre des missiles :

« Au lieu de débats internes sur les implications stratégiques de la réintroduction de ces missiles, le discours militaire public s’est concentré sur la question de savoir quel service aurait la responsabilité de leur utilisation et de leur développement. Cela signifiait que l’utilisation finale des nouveaux missiles et leur projection à l’avant étaient un fait acquis. »[1]

Il est intéressant de noter que le président français Emmanuel Macron avait alors questionné le rejet de l’offre russe par les États-Unis. Brennan Deveraux explique que « sans soutenir techniquement la proposition russe, M. Macron a insisté sur la nécessité d’ouvrir des lignes de communication avec la Russie. »L’absence de dialogue avec la Russie a-t-elle rendu le continent européen plus sûr ? Je ne le pense pas », a-t-il dit. »[2] On mesure ici le peu d’influence des alliés européens sur la stratégie américaine à la veille du déclenchement des hostilités en Ukraine. 

L’OTAN est à la fois le problème et la réponse au problème

On se souvient que l’expansion de l’OTAN avait été justifiée par la nécessité d’assurer la sécurité des pays d’Europe de l’Est. Mais cette excuse ne saurait être invoquée pour le démantèlement de l’architecture juridique du contrôle des armements. Nous passons ici dans une stratégie radicalement différente : celle d’avoir les mains libres pour déployer un armement offensif.

Il est bon de souligner que le cœur de la politique de contrôle des armements était le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) qui portait sur l’élimination des missiles de croisière et missiles balistiques, à charge conventionnelle ou nucléaire. Quand ces missiles, qui ont une portée se situant entre 500 et 5 500 km sont placés à proximité des frontières russes, ils ont pour conséquence inévitable de pousser la Russie à adopter une politique de lancement à déclenchement quasi-instantané, éliminant toute possibilité de réflexion aux dirigeants politiques et militaires.

Cette nouvelle stratégie offensive donne toute sa signification à l’agrandissement de l’OTAN : en rapprochant les bases de missiles de Russie et en supprimant les traités de contrôle de l’armement, les États-Unis mettaient un pistolet sur la tempe de la Russie. Le professeur Richard Sakwa résume en une formule la situation nouvelle ainsi créée : « Finalement, l’existence de l’OTAN en vient à se justifier par la nécessité de gérer les menaces sécuritaires provoquées par son élargissement. »[1]

En échange de cette nouvelle stratégie, qu’est-ce que les États-Unis et leurs alliés avaient à offrir à la Russie? Une simple « déclaration d’intention de bienveillance ». Face à la nouvelle nature de l’OTAN, toute manifestation d’inquiétude en provenance de Moscou était considérée comme non pertinente et irrationnelle : « les exercices d’armement, d’entraînement et d’interopérabilité, aussi provocateurs, puissants ou proches des frontières de la Russie soient-ils, explique le Dr Abelow, sont purement défensifs et ne doivent pas être redoutés. »(*)

L’analyse de l’ouvrage How the West Brought War to Ukraine retrace méticuleusement comment les États-Unis ont joué avec le feu inconsciemment et surtout irresponsablement, comme si la guerre était une menace théorique et qu’à chaque nouveau pas en avant, la Russie laisserait passer, comme elle l’avait fait pour le pas précédent. Pourtant cela ne répond pas à la question de fond : pourquoi les États-Unis se sont-ils engagés dans cette voie belliciste?

Disons tout de suite que le Dr Abelow ne donne pas de réponse satisfaisante à ce sujet. Il avoue même sa perplexité devant la politique mise en place incrémentalement au fil des années : « Même d’un point de vue américain aveugle, l’ensemble du plan occidental était un jeu de bluff dangereux, mis en œuvre pour des raisons difficilement compréhensibles. L’Ukraine n’est pas, loin s’en faut, un intérêt vital pour la sécurité des États-Unis. En fait, l’Ukraine n’a guère d’importance. »(*)

Or, l’inverse n’est pas vrai : « En revanche, pour la Russie – avec sa frontière commune de 1 200 milles et son histoire marquée par trois grandes invasions occidentales par voie terrestre, dont la plus récente, pendant la Seconde Guerre mondiale, a causé la mort d’environ 13 % de l’ensemble de la population russe – l’Ukraine est le plus vital des intérêts vitaux. » (*) À partir de ce contraste, le Dr Abelow tire une conclusion logique ou qui aurait dû être logique pour les dirigeants américains : « Quelle personne saine d’esprit pourrait croire que l’installation d’un arsenal occidental à la frontière de la Russie n’entraînerait pas une réaction puissante ? »(*)

Le paramètre oublié

Comme on le voit, l’ouvrage « How the West Brought War to Ukraine » repose sur une série de faits peu contestables. Il y a un manque toutefois que l’on peut déplorer et c’est l’analyse de la position ukrainienne. Car si les États-Unis ont jeté de l’huile sur le feu, il fallait au préalable qu’il y ait un feu. Vers la fin de l’ouvrage, le Dr Abelow rappelle que le président ukrainien Volodymyr Zelensky avait été élu en avril 2019 sur un programme de paix avec la Russie.

Il évoque ensuite une ultime démarche pour la paix entreprise par le chancelier allemand Olaf Scholz quelques jours avant le déclenchement des hostilités. Selon un article du Wall Street Journal il aurait proposé que « l’Ukraine renonce à ses aspirations à l’OTAN et déclare sa neutralité dans le cadre d’un accord plus large sur la sécurité européenne entre l’Occident et la Russie. Ce pacte eût été signé par MM. Poutine et Biden, qui auraient garanti conjointement la sécurité de l’Ukraine. M. Zelensky a déclaré qu’on ne pouvait pas faire confiance à M. Poutine pour respecter un tel accord et que la plupart des Ukrainiens souhaitaient rejoindre l’OTAN. Sa réponse a fait craindre aux dirigeants allemands que les chances de paix ne s’amenuisent. »[1]

Peu après le début de la guerre, le spécialiste des questions russo-ukrainiennes, Richard Sakwa déclara dans une interview que M. Zelensky aurait pu faire la paix avec la Russie en prononçant seulement cinq mots : « L’Ukraine ne rejoindra pas l’OTAN ».[2] Pourquoi ne les a-t-il pas prononcés ? Au-delà des responsabilités russes et occidentales à la guerre, il y a une dimension proprement ukrainienne qui n’est qu’effleurée à la fin de l’ouvrage. C’est d’ailleurs la seule critique que nous pourrions adresser à « How the West Brought War to Ukraine » : on souhaiterait connaître la version ukrainienne de la marche à la guerre !



(*) Traduction JGR.

[1] Thomas L. Friedman (interview avec George Kennan), “Foreign Affairs; Now a Word From X”, The New York Times, 2 mai 1998.

[2] George Frost Kennan, “The Sources of Soviet Conduct”, Foreign Affairs, July 1947.

[3] Thomas L. Friedman, idem.

[4] Thomas L. Friedman, idem.

[5] Benjamin Abelow, « How the West Brought War to Ukraine: Understanding How U.S. and NATO Policies Led to Crisis, War, and the Risk of Nuclear Catastrophe », Siland Press, 2022, 88 pages. Toutes les autres citations de cet article sont extraites de ce même ouvrage, sauf mention contraire.

6. Olivier Berruyer, « Comment l’Occident a promis à l’URSS que l’OTAN ne s’étendrait pas à l’Est”, par Roland Dumas, ex-ministre des affaires étrangères, Les Crises, 13 février 2022.

7.- Major Brennan Deveraux, « Why intermediate range missiles are a focal point in the Ukraine Crisis”, War on the Rocks, 28 janvier 2022.

8.- Major Brennan Deveraux, idem.

9.- Richard Sakwa, « Frontline Ukraine : Crisis in the borderlands”, I.B. Tauris, London, 2015, 297 pages. Cité in Benjamin Abelow, idem.

10.- Michael R. Gordon, Bojan Pancevski, Noemie Bisserbe et Marcus Walker, “Vladimir Putin’s 20-yMuch to War in Ukraine – and How the West Mishandled it”, The Wall Street Journal, 1er avril 2022. Cité in Benjamin Abelow, idem.

11.- Richard Sakwa, 21 avril

Position de la Chine sur le règlement politique de la crise ukrainienne

Horizons et débats

14 mars 2023

1. Respecter la souveraineté de tous les pays. Le droit international universellement reconnu, y compris les buts et principes de la Charte des Nations Unies, doit être strictement observé. La souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de tous les pays doivent être effectivement garanties. Les pays, qu’ils soient grands ou petits, puissants ou faibles, riches ou pauvres, sont membres égaux de la communauté internationale. Les différentes parties doivent préserver ensemble les normes fondamentales régissant les relations internationales et défendre l’équité et la justice internationales. Il faut promouvoir une application égale et uniforme du droit international et rejeter le deux poids deux mesures.

2. Renoncer à la mentalité de la guerre froide. Il ne faut pas rechercher la sécurité d’un pays au détriment de celle des autres, ni garantir la sécurité d’une région par le renforcement voire l’expansion des blocs militaires. Les intérêts et préoccupations sécuritaires légitimes des différents pays doivent être pris au sérieux et traités de manière appropriée. Il n’y a pas de solution simple aux problèmes complexes. Toutes les parties doivent poursuivre la vision de sécurité commune, intégrée, coopérative et durable, garder à l’esprit la paix et la stabilité de long terme dans le monde, et promouvoir la construction d’une architecture de sécurité européenne équilibrée, effective et durable. Il faut s’opposer à ce qu’un pays recherche sa propre sécurité au prix de celle d’autrui, prévenir la confrontation des blocs, et œuvrer ensemble à la paix et à la stabilité sur le continent eurasiatique.

3. Cesser les hostilités. Les conflits et guerres ne font de bien à personne. Les parties doivent toutes garder la raison et la retenue, s’abstenir de mettre de l’huile sur le feu et d’aggraver les tensions, et prévenir une nouvelle détérioration ou même un dérapage de la crise ukrainienne. Il faut soutenir la Russie et l’Ukraine de sorte qu’elles travaillent dans la même direction pour reprendre au plus tôt un dialogue direct, promouvoir progressivement la désescalade de la situation et parvenir finalement à un cessez-le-feu complet. 

4. Lancer les pourparlers de paix. Le dialogue et les négociations sont la seule solution viable à la crise ukrainienne. Tout effort en faveur du règlement pacifique de la crise doit être encouragé et soutenu. La communauté internationale doit poursuivre la bonne direction qui est de promouvoir les pourparlers de paix, aider les parties au conflit à ouvrir rapidement la porte qui mène au règlement politique de la crise, et créer des conditions et plateformes pour la reprise des négociations. La Chine continuera de jouer un rôle constructif dans ce sens.

5.Régler la crise humanitaire. Toute mesure en faveur de l’apaisement de la crise humanitaire doit être encouragée et soutenue. Les opérations humanitaires doivent se conformer aux principes de neutralité et d’impartialité et les questions humanitaires ne doivent pas être politisées. Il faut protéger effectivement la sécurité des civils et mettre en place des corridors humanitaires pour évacuer des civils des zones de conflit. Il convient d’accroître les aides humanitaires aux zones concernées, d’améliorer les conditions humanitaires, et de fournir un accès humanitaire rapide, sûr et sans entrave, en vue de prévenir une crise humanitaire de plus grande ampleur. Il faut soutenir l’ONU dans ses efforts pour jouer un rôle coordinateur dans l’acheminement des aides humanitaires dans les zones de conflit.

6.Protéger les civils et les prisonniers de guerre. Les parties au conflit doivent observer scrupuleusement le droit humanitaire international, éviter d’attaquer les civils et les installations civiles, protéger les femmes, les enfants et les autres victimes du conflit et respecter les droits fondamentaux des prisonniers de guerre. La Chine soutient l’échange de prisonniers de guerre entre la Russie et l’Ukraine et appelle les différentes parties à créer plus de conditions favorables à cette fin.

7.Préserver la sécurité des centrales nucléaires. La Chine s’oppose aux attaques armées contre les centrales nucléaires et les autres installations nucléaires pacifiques, et appelle les différentes parties à observer le droit international, y compris la Convention sur la sûreté nucléaire, et à prévenir résolument les accidents nucléaires d’origine humaine. La Chine soutient l’Agence internationale de l’énergie atomique dans ses efforts pour jouer un rôle constructif dans la promotion de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires pacifiques.

8.Réduire les risques stratégiques. Les armes nucléaires ne doivent pas être utilisées et la guerre nucléaire ne doit pas être menée. Il faut s’opposer à la menace ou l’emploi d’armes nucléaires. Il est impératif de prévenir la prolifération nucléaire et d’éviter les crises nucléaires. La Chine s’oppose à la recherche et développement et à l’utilisation des armes chimiques et biologiques par quelque pays que ce soit dans quelques circonstances que ce soient.

9.Faciliter l’exportation des céréales. Toutes les parties doivent appliquer de manière équilibrée, intégrale et effective l’Initiative céréalière de la mer Noire signée par la Russie, la Türkiye, l’Ukraine et l’ONU, et soutenir l’ONU dans ses efforts pour jouer un rôle important à cet égard. L’initiative de coopération sur la sécurité alimentaire mondiale lancée par la Chine offre une solution viable à la crise alimentaire mondiale.

10.Mettre fin aux sanctions unilatérales. Les sanctions unilatérales et la pression maximale n’aident pas à régler les problèmes et ne font que créer de nouveaux problèmes. La Chine s’oppose à toute sanction unilatérale non autorisée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies. Les pays concernés doivent cesser de recourir de manière abusive aux sanctions unilatérales et aux juridictions extraterritoriales contre les autres pays, jouer un rôle en faveur de la désescalade de la crise ukrainienne et créer des conditions favorables au développement économique et à l’amélioration du bien-être de la population des pays en développement.

11.Assurer la stabilité des chaînes industrielles et d’approvisionnement. Toutes les parties doivent préserver effectivement le système économique mondial existant, et s’opposer à ce que l’économie mondiale soit politisée ou utilisée comme un outil ou une arme. Il faut œuvrer ensemble à atténuer les effets de débordement de la crise pour qu’elle ne perturbe la coopération internationale en matière d’énergie, de finance, de commerce alimentaire et de transport ni ne compromette la reprise économique mondiale.

12.Promouvoir la reconstruction post-conflit. La communauté internationale doit prendre des mesures pour soutenir la reconstruction post-conflit dans les zones de conflit. La Chine est prête à accorder son assistance et à jouer un rôle constructif à cet égard3.

Source : Le Ministère des affaires étrangères de la République populaire de Chine. 24 février 2023, 09 :00

Pékin prend l’initiative dans le conflit ukrainien

par Ralph Bosshard *

Horizons et débats

Zurich, 14 mars 2023

A l’occasion de l’anniversaire de l’attaque russe contre l’Ukraine, le Ministère des Affaires étrangères de la République populaire de Chine a rendue publique son initiative pour une solution politique du conflit.(1) En révélant son projet élaboré pour la paix, Pékin se positionne en tant que partie prenante aux décisions concertées touchant aux questions importantes de la politique mondial, tout en continuant la promotion de ses conceptions d’un monde multipolaire dans lequel la Russie aurait également sa place. Sans se laisser impliquer dans le conflit par son partenaire russe à un moment inopportun, la Chine n’est pas non plus prête à s’en distancer.

Dans les deux premiers paragraphes, Pékin donne son évaluation du conflit, soulignant les contradictions présumées des parties en conflit. Depuis des années, l’Ukraine proteste contre la violation de son intégrité territoriale consécutive à l’annexion par la Fédération de Russie, de la Crimée et depuis peu, des quatre oblasts de Donetsk, Louhansk, Zaporijjia et Kherson. Cependant l’intégrité territoriale évoquée à ce sujet par la Chine recouvre plus généralement la sienne propre, en clair, ses revendications concernant Taïwan et les eaux territoriales en mer de Chine orientale et méridionale.
    Pour ne pas avoir l’air de trop polariser sur l’Occident, le Ministère chinois des Affaires étrangères a également inclus dans le premier paragraphe une référence à l’égalité souveraine des Etats, ainsi que sa critique du double standard. La violation du premier principe est notamment critiquée par les Etats qui voient dans le soutien occidental aux «révolutions colorées» une ingérence dans leurs affaires intérieures. Traditionnellement, la Russie et la Chine reprochent à l’Occident de leur appliquer le régime «deux poids-deux mesures», se plaignant que lui-même se permette d’agir d’une façon qu’il n’accepterait jamais chez ses adversaires, selon la devise quod licet Iovi, non licet bovi (2). Attaque frontale classique contre les groupes qui, en Occident et notamment aux Etats-Unis, s’attribuent un rôle de leadership dans la politique mondiale, en revendiquant la primauté des Etats démocratiques sur tous les autres.(3)
    Par ailleurs la Chine en profite pour cautionner les revendications russes qui reviennent depuis des années sur la violation des principes d’indivisibilité territoriale de sécurité, y insistant de concert avec Moscou qui estime que les diverses étapes de l’élargissement de l’OTAN à l’est ont enfreint ce principe et conduit les anciens pays membres de l’Organisation du traité de Varsovie et les nouveaux membres de l’OTAN à assurer leur sécurité aux dépens de la Russie.

Les propositions chinoises font preuve de réalisme

A l’évidence, le Ministère chinois des Affaires étrangères admet que l’é tendue de la complexité des causes de l’actuelle guerre d’Ukraine est trop vaste pour qu’elle parvienne à une résolution rapide par le biais d’un accord de paix. Au cours des neuf dernières années, cette longue guerre a en outre engendré d’autres problèmes. Par conséquent, demander un accord de cessez-le-feu général est nettement plus réaliste. On a bien sûr aussitôt reproché à la Russie d’utiliser le cessez-le-feu dans le seul but d’un rétablissement de sa position militaire. Les Ukrainiens et leurs alliés européens sont toutefois eux aussi rompus à ces procédés: jusqu’à  présent aucun argument convaincant n’est venu infirmer l’idée que la France, l’Allemagne et l’Ukraine n’auraient conclu les Accords de Minsk dans un objectif de gagner du temps pour préparer une résolution militaire au conflit.(4) A Pékin aussi, on est bien conscient du problème posé par les Accords de Minsk de 2014 et 2015, mélange de simples dispositions de cessez-le-feu avec des mesures politiques. Il faut toutefois s’attendre à ce qu’un cessez-le-feu stable, sur une ligne bien démarquée, quelle qu’elle soit, conduise à la consolidation de la situation de facto, ce qui n’est pas dans l’intérêt de l’Ukraine en particulier. L’appel à la reprise des pourparlers politiques (point 4 de la proposition chinoise) marque le réalisme dont fait preuve Pékin.

L’Occident se trouve hors du jeu

Jusqu’à présent, concernant un dialogue direct Ukraine-Russie, proposé par Pékin, c’est l’Ukraine qui renâcle. Le point 3 de la proposition chinoise, qui le souligne, montre la volonté de Pékin de n’accorder aucun rôle dans le processus de paix à l’Occident dans son entier. Le Président ukrainien Zelensky a visiblement vite compris cette issue se déclarant immédiatement prêt à discuter avec l’homme fort de la Chine, le Président Xi Jinping.(5)
    Autre problème urgent lié à la longueur et la brutalité de cette guerre, les conditions humanitaires. L’Ukraine et ses alliés européens tenteront bien entendu de s’appuyer sur ce point du plan de paix chinois pour dénoncer la Russie, mais la Chine ne devrait pas se laisser instrumentaliser. Pékin sait bien que la Russie va utiliser ce point pour tout reprocher à l’Ukraine. En associant, dans le point 8 de sa proposition, son refus de toute menace d’utilisation d’armes nucléaires à son opposition de principe à tout développement d’armes biologiques et chimiques, la Chine montre sa détermination à couper court à toute tentative d’instrumentalisation de l’une ou l’autre des parties.

Des voies ouvertes à tous

La référence à l’Initiative Black Sea Grains, visant au maintien des livraisons de céréales en provenance d’Ukraine, indique probablement que Pékin s’est concerté avec Ankara avant d’initier son plan de paix. Il est clair que les dirigeants chinois vont en profiter pour tenter d’en tirer un profit additionnel pour marquer des points auprès des Etats d’Afrique et d’Asie.
    Point 10, le refus de sanctions unilatérales doit être interprété comme une critique ouverte de l’Occident et constitue en même temps une pilule amère pour l’Ukraine qui, faute d’autres options d’action, opterait pour le maintien prolongé de sanctions aussi sévères que possible contre la Russie.(6) L’Ukraine n’a pourtant pas, ni actuellement, ni dans un avenir prévisible, le poids politique et économique nécessaire pour motiver d’autres Etats à agir dans ce sens, et encore moins pour les y contraindre. A Kiev, il faut s’attendre de manière réaliste à ce que les intérêts économiques de nombreux Etats les conduisent, un jour ou l’autre, à un maintien purement formel, quoique progressivement vidé de leur contenu, des sanctions économiques contre la Russie. Enfin, Pékin promeut ses propres intérêts économiques, notamment son Initiative Belt and Road, tout en sachant pertinemment qu’elle sert également les intérêts russes, car la Russie accorde une grande importance à son corridor de transport international nord-sud et n’a aucun intérêt à des blocages de quelque nature que ce soit.

La détermination de Pékin

Le rejet automatique du plan de paix chinois, présumé douteux, devra sans doute rapidement faire place à une évaluation plus réaliste.(7) Le secrétaire d’Etat américain Blinken se prépare apparemment déjà à une série laborieuse de visites qui le conduira dans plusieurs Etats d’Asie où il devra solliciter un soutien à ses propres plans.(8) On fera sans doute payer cher aux Américains et aux Européens le prix d’un soutien politique.(9) Il sera exclu que les responsables de la politique étrangère occidentale s’y présentent sous l’aspect riant du pap-gâteau au chéquier bien garni: le vent a décidément tourné. Ils endosseront désormais plutôt le rôle du quémandeur importun. D’un autre côté, Pékin est manifestement prêt à exercer une pression militaire pour faire aboutir son plan de paix, comme le montrent les diverses spéculations sur la livraison de drones et de munitions à la Russie.10 Discutable ou non, Pékin fera aboutir son plan de paix qui sert d’abord ses propres intérêts, et ce ne sont pas les sensibilités ukrainiennes qui l’arrêteront.
    Kiev, Bruxelles et Washington ne pourront échapper à un examen approfondi des propositions chinoises, d’autant plus que celles-ci ont déjà reçu le soutien d’acteurs importants sur l’é chiquier politique mondial et qu’elles avaient peut-être été convenues avec un autre acteur important, la Turquie. Avec l’initiative chinoise, l’Occident qui a fourni des armes à l’Ukraine en tant que moteur convaincu de l’é volution, se voit tout à coup rélégué au rôle d’acteur parmi d’autres, car Pékin ne tolèrera manifestement pas que ses propositions soient balayées d’un revers de main. Avec la proposition de paix chinoise, une porte est désormais également ouverte pour sauver la face en cas de changement de cap de la politique occidentale qui s’orienterait vers l’ouverture de discussions avec le mal-aimé du Kremlin, Vladimir Poutine. •

(1 v. «China’s Position on the Political Settlement of the Ukraine Crisis», 24/02/23, site du Ministère des Affaires extérieures chinois sous https://www.fmprc.gov.cn/eng/zxxx_662805/202302/t20230224_11030713.html?spm=C98846262907.PT3RXyzGyJv6.0.0  (en anglais). Commentaire à consulter sur: «China calls for resuming peace talks to resolve Ukraine crisis», consulter p.e. The New Times du 25/02/23, online sous https://www.newtimes.co.rw/article/5333/news/international/china-calls-for-resuming-peace-talks-to-resolve-ukraine-crisis .
(2) traduit: «Ce qui est permis à Jupiter n’est pas permis au boeuf.»
(3) Une «Ligue des democrats» fut proposée, pour la première fois, par Ivo Daalder und James Lindsay dans «Washington Post». V.: «Democracies of the World, Unite», ds.: The American Interest Online, janvier/février 2007, online sous https://web.archive.org/web/20110521230314/http://www.the-american-interest.com/article.cfm?piece=220 . C’est dans ce contexte qu’il faut concevoir le «Sommet sur la démocratie» de l’administration Biden. V. «The Summit for Democracy» sur le site du United States Department of State, online sous https://www.state.gov/summit-for-democracy/ . Pour une position critique v.: The Heritage Foundation. «The Summit for Democracy – American Leadership or Photo Op?», online sous https://www.heritage.org/global-politics/event/the-summit-democracy-american-leadership-or-photo-op.  
(4) V. Bosshard, Ralph, «Ein schlechter Friede ist besser als ein guter Krieg» ds.: Global Bridge du 21/12/22, online sous https://globalbridge.ch/ein-schlechter-friede-ist-besser-als-ein-guter-krieg/ 
(5) V. Hirwani, Peony, «Zelensky wants to meet Xi Jinping after Beijing’s peace plan», ds.: The Independent du 25/02/23, online soushttps://www.independent.co.uk/news/world/europe/zelensky-xi-jinping-beijing-peace-plan-b2289365.html Ghazanchyan Siranush, «Zelensky wants Xi Jinping meeting to discuss China’s peace plan», ds. Public Radio of Armenia du 25/02/23, online sous https://en.armradio.am/2023/02/25/zelensky-wants-xi-jinping-meeting-to-discuss-chinas-peace-plan/ 
(6) V. «Kuleba on China’s peace plan: We disagree with at least one point» in: Interfax Ukraine, Ukraine News Agency du 25/02/2023, online sous https://en.interfax.com.ua/news/general/893977.html 
(7) V. Hlushchenko, Olha, «China’s peace plan beneficial only for Russia – Biden,» ds. Ukrainska Pravda du 23/02/23, online sous https://www.pravda.com.ua/eng/news/2023/02/25/7390952/  et Ash, Timothy, «China PR Peace Plan – Pros and Cons In a Nutshell», ds: Kyiv Post du 25/02/23, online sur https://www.kyivpost.com/post/13524 
(8) V. Lee, Matthew, «Anthony Blinken heads to Asia for key G20 talks as tensions mount with Russia and China», in:Independent.ie du 25/02/23, online sur https://www.independent.ie/world-news/north-america/anthony-blinken-heads-to-asia-for-key-g20-talks-as-tensions-mount-with-russia-and-china-42358841.html 
(9) L’Inde ainsi que le Kazakhstan ont déjà notifié leur soutien au plan politique chinois, v. «Willing to join ‹any peace process› to solve Ukraine war: PM Modi», in: The Hindu du 25/02/2023, online sur https://www.thehindu.com/news/national/willing-to-join-any-peace-process-to-solve-ukraine-war-pm-modi/article66552455.ece , de même «Kazakhstan supports China’s peace plan for Ukraine crisis», ds: AKIpress du 25/02/2023, online sur https://akipress.com/news:695791:Kazakhstan_supports_China_s_peace_plan_for_Ukraine_crisis/ 
10V. Bertrand, Natasha, Cohen, Zachary, «Intelligence suggests China is considering sending drones and ammunition to Russia, sources familiar say», ds: CNN Politics du 24/02/23, online sur https://edition.cnn.com/2023/02/24/politics/us-intelligence-china-drones-russia-ukraine/index.html#:~:text=CNN%20Store-,Intelligence%20suggests%20China%20is%20considering%20sending%20drones,to%20Russia%2C%20sources%20familiar%20say&text=The%20US%20has%20intelligence%20that,with%20the%20intelligence%20told%20CNN , de même «Chinese company discusses selling drones to Russia, Der Spiegel reports», ds: Reuters du 24/02/23, online sur https://www.reuters.com/business/aerospace-defense/chinese-company-discusses-sending-russia-drones-der-spiegel-2023-02-23/ 

Première parution: https://globalbridge.ch/peking-ergreift-die-initiative-im-ukraine-konflikt/  du 27/02/23; texte publié avec l’aimable autorisation de l’auteur.
(Traduction Horizons et débats)


* Ralph Bosshard a étudié l’histoire générale, l’histoire de l’Europe de l’Est et l’histoire militaire. Il a suivi l’é cole de commandement militaire de l’EPFZ ainsi que la formation d’é tat-major général de l’armée suisse. Il a prolongé sa formation universitaire et militaire par des études linguistiques en russe à l’Université d’Etat de Moscou, ainsi qu’à  l’Académie militaire de l’Etat-major général de l’armée russe. C’est un expert reconnu de la situation en Europe de l’Est suite à aux fonctions qu’il a occupées pendant six ans à l’OSCE comme Conseiller spécial du représentant permanent de la Suisse.

Ukraine-Russie : Un an de conflit

par Général Antoine Martinez 

10 mars 2023

Source : Site : Les moutons enragés

Note du responsable du blog La paix mondiale menacée.

Nous reproduisons ici l’analyse d’un général connu pour son positionnement d’extrême droite, bien éloigné de notre propre engagement. La raison en est que ce document nous paraît être d’une remarquable perspicacité politique et stratégique et même d’une exceptionnelle qualité morale dans un contexte général marqué par un bellicisme quasiment généralisé des médias et de l’opinion publique des pays occidentaux. D’une façon générale, en période de crise, il n’est pas rare que les étiquettes politiques traditionnelles perdent leur qualité de repères fiables.

                                                                       IR

Au Président de la République et à son gouvernement, aux représentants de la nation et au peuple français.

Un an tout juste après l’agression de l’Ukraine par la Russie et alors que ce conflit semble s’enliser, il faut bien admettre que les risques d’embrasement et de débordement au-delà du territoire ukrainien deviennent très sérieux aujourd’hui du fait du soutien massif de Kiev décidé par l’OTAN, notamment en matière de matériel militaire lourd, qui pourrait conduire les dirigeants russes à considérer cette démarche comme belliqueuse à leur égard. Les pays européens, membres de l’OTAN, traités de ce fait comme co-belligérants seraient donc en première ligne et potentiellement sous la menace directe de frappes de représailles, ce qui déclencherait une phase nouvelle de cette guerre qui deviendrait incontrôlable. Il ne sert à rien de clamer qu’il ne s’agit pas de co-belligérance pour tenter de s’en convaincre. En effet, c’est la guerre, et si les Russes considèrent qu’il s’agit de co-belligérance, cette co-belligérance sera considérée comme telle avec ses conséquences.

La situation est donc extrêmement grave et préoccupante, et la responsabilité des dirigeants européens est immense dans la tournure que pourrait prendre ce conflit, pour l’instant encore, contenu géographiquement.

Les dernières déclarations du Président de la République, engageant la France, lors de la conférence sur la sécurité qui s’est tenue à Munich, ne sont d’ailleurs pas de nature à faire baisser la tension. Refuser d’engager le dialogue avec la Russie qui contrôle à ce stade environ 20 % du territoire ukrainien et pousser à sa défaite d’une part, et laisser croire que l’Ukraine serait en capacité d’imposer ses conditions dans une négociation qui surviendrait après une hypothétique contre-offensive victorieuse d’autre part, relève d’un déni de réalité qui pourrait être catastrophique et dramatique pour l’Ukraine et les pays européens. Il est encore temps d’arrêter le massacre !

C’est pourquoi j’appelle le Président de la République et le gouvernement à un sursaut inspiré par la raison. Avoir servi la France sous l’uniforme pendant une quarantaine d’années m’en donne aujourd’hui le droit, sinon le devoir. Car la politique et la géopolitique se fondent sur des réalités et non sur des fantasmes ou sur l’émotion. Et les réalités internationales en 2023, confirmées s’il en était besoin par ce conflit en Ukraine, sont représentées par les Etats-Unis, la Russie et la Chine, seules puissances en mesure – en fonction de leurs seuls intérêts propres – de peser sur l’issue de cette guerre par procuration, l’Union européenne étant de son côté totalement dépassée car ayant choisi depuis la fin de la Guerre froide d’engranger les dividendes de la paix au détriment de sa défense. Ignorer cette évidence ou refuser de l’admettre peut conduire à des prises de décisions tragiques pour la France et les Français.

C’est pourquoi j’appelle les représentants de la nation, députés et sénateurs, étrangement silencieux sur les décisions partisanes prises par l’exécutif et qui engagent la France dans ce conflit, à exiger un débat au Parlement. La France se devait, en présidant l’Union européenne au cours du premier semestre 2022 – avant même l’agression russe et dans les mois qui l’ont suivie – d’adopter un rôle singulier de puissance d’équilibre, de vrai médiateur donnant à la diplomatie sa raison d’être dans ce conflit qui aurait pu et qui aurait dû être évité ou arrêté. Car cette guerre est un vrai malheur pour l’Europe. En ne faisant pas ce choix et en suivant aveuglément les Etats-Unis, la France a manqué un rendez-vous avec l’Histoire. Les Français pourraient le payer cher.

C’est pourquoi, enfin, j’appelle les Français à prendre conscience des enjeux qui touchent à leur sécurité et donc à leur avenir. Cette prise de conscience doit les conduire à manifester fermement, résolument et massivement leur désaccord face à des décisions qui privilégient et alimentent manifestement la poursuite de la guerre et sa propagation, jusqu’à l’irréparable, au lieu de créer les conditions de son arrêt.

Car sur les raisons du déclenchement de ce conflit et par conséquent de la nécessité et du bien fondé de mon appel, il est indispensable de rapporter les faits qui contredisent le discours officiel et justifient l’opposition à la posture adoptée par la France qui découle, en fait, d’un narratif partiel et partial imposé aux Français. « Les responsables des guerres ne sont pas ceux qui les déclenchent, mais ceux qui les ont rendues inévitables » (citation attribuée à Montesquieu). En l’occurrence, la Russie a déclenché cette guerre le 24 février 2022, mais ce sont les Etats-Unis qui l’ont rendue inévitable.

  • Depuis la fin de la Guerre froide, en effet, la Russie est devenue une obsession pour l’Etat profond américain qui refuse notamment tout développement des relations entre ce pays et les pays européens, car il a rapidement compris que la paix instaurée déboucherait – c’est inévitable – à un développement progressif sur le continent européen des échanges et des relations commerciales, économiques, voire politiques qui bouleverserait à terme la situation géopolitique et menacerait son hégémonie. C’est la raison, d’ailleurs, du maintien de l’OTAN, engagée dans un long processus d’expansion vers les frontières de la Russie et visant à l’affaiblir sur le long terme, alors que le Pacte de Varsovie avait été dissous.
  • Cette stratégie délibérément agressive à l’égard de la Russie a été conçue et présentée par Zbignew Brzezinski dans son ouvrage « Le grand échiquier » dès 1997. « L’Amérique doit absolument s’emparer de l’Ukraine, parce que l’Ukraine est le pivot de la puissance russe en Europe. Une fois l’Ukraine séparée de la Russie, la Russie n’est plus une menace ». En une phrase, ce qui est désigné comme un objectif à atteindre ne peut être compris que comme une déclaration de guerre avant l’heure et peut expliquer, a posteriori, la décision de la Russie d’attaquer la première le 24 février 2022.
  • La concrétisation de cet objectif est exprimée par la révolution de Maïdan préparée pendant des années et déclenchée en 2014 par un véritable coup d’Etat fomenté par la CIA qui a entraîné le renversement du président ukrainien pro-russe, provoqué la division du pays et débouché sur une véritable guerre civile avec le bombardement et le massacre des populations ukrainiennes du Donbass par le nouveau régime, parce que russophones et tournées vers la Russie.
  • Tout a été fait par l’Ukraine et les Etats-Unis pour provoquer cette guerre avec la Russie. L’interview, le 18 février 2019, d’Oleskiy Arestovytch, conseiller du président Zelensky, est révélatrice. Le plan d’action détaillé qu’il déroule face au journaliste (tant de précision au regard de ce qui se passe aujourd’hui ne peut que montrer qu’il a reçu des assurances (cf. rapport de la Rand Corporation pour déstabiliser la Russie) constitue un témoignage accablant. Il n’hésite pas à déclarer que le prix à payer pour rejoindre l’OTAN est un grand conflit avec la Russie, en ajoutant que cette guerre commencerait entre 2020 et 2022 ! « L’OTAN forme l’armée ukrainienne, fournit les armes et la formation nécessaires depuis 2014 » (Jens Stoltenberg, Secrétaire général de l’OTAN).
  • Un accord de partenariat stratégique et militaire a, en outre, été signé entre Washington et Kiev le 10 novembre 2021, trois mois avant l’offensive ukrainienne sur le Donbass le 16 février 2022 qui a entraîné la réponse russe le 24 février. Cet accord scelle une alliance entre les Etats-Unis et l’Ukraine ; il est dirigé contre la Russie et promet à Kiev l’entrée dans l’OTAN.
  • Quant aux accords de Minsk I (5 septembre 2014) et Minsk II (12 février 2015), ils ont été sabotés par les Etats-Unis (déjà installés (cf. Mme Victoria Nuland) dans les instances décisionnaires de l’Ukraine) qui ne pouvaient supporter que cette crise fût gérée par les Européens eux-mêmes et notamment par la France et l’Allemagne signataires de ces accords et garants de leur application. La France a d’ailleurs une responsabilité immense – partagée avec l’Allemagne – dans la situation actuelle en n’ayant pas oeuvré pour cette application et a donc failli à sa signature. Mais on sait aujourd’hui, après l’aveu cynique de Mme Merkel confirmé par le président Hollande, que ces accords n’étaient qu’un subterfuge destiné à tromper la Russie et à permettre au nouveau régime ukrainien de gagner du temps pour s’organiser, s’armer et se préparer.
  • Par ailleurs, dès le 27 février 2022, le président ukrainien avait accepté le principe de négociations qui se sont déroulées au cours du mois de mars pendant quelques semaines. Elles n’ont cependant pas abouti en raison des pressions américaines et de l’assassinat par le SBU (services secrets ukrainiens) d’un des négociateurs.
  • Le 26 septembre 2022 les gazoducs Nord Stream 1 et 2 étaient gravement endommagés par des explosions entraînant quatre fuites de gaz en Mer Baltique et coupant l’approvisionnement en gaz de l’Europe. Cet incident majeur résulte indiscutablement d’un acte hostile délibéré dont l’origine, sans même se référer aux révélations récentes de l’enquête menée par le journaliste américain Seymour Hersch, ne trompe personne. A qui profite le crime ? Les Etats-Unis ont planifié et piloté ce sabotage qui s’apparente à une opération terroriste. « Si la Russie envahit… alors, il n’y aura plus de Nord Stream. Nous y mettrons fin » (Joe Biden). L’objectif de l’Etat profond américain, déjà évoqué, est d’empêcher tout développement des relations entre la Russie et l’Europe et en particulier de couper le lien de dépendance énergétique et donc économique de l’Allemagne – et donc de l’Europe – avec Moscou. L’impact de ce sabotage a totalement ravagé l’économie de l’Union européenne, provoquant une hausse ahurissante des prix de l’énergie et des faillites en chaîne.
  • Il n’est pas dans l’intérêt de l’Europe dans un conflit qui lui est imposé de couper le lien avec la Russie, au risque de la pousser vers la Chine qui est consciente d’être la prochaine visée par les Etats-Unis. Et l’intérêt de la Chine aujourd’hui n’est pas d’affaiblir ou de laisser affaiblir la Russie. Son attitude dans cette crise est cruciale. Si elle a l’intention (comme le lui reprochent à présent les dirigeants américains) de fournir des armements à la Russie, les Etats-Unis auraient, en provoquant cette guerre en Ukraine, ouvert la boîte de Pandore.
  • Enfin, il faut évoquer un facteur fondamental qui conditionne la poursuite et l’évolution de ce conflit, à savoir les pertes humaines. Dans ce domaine sensible, il faut rester circonspect mais les données rendues récemment publiques par les médias turcs faisant référence aux services de renseignement israéliens sont plausibles :
  • Ukraine : 157 000 soldats tués / 234 000 blessés – 234 instructeurs OTAN tués
  • 2 458 combattants OTAN tués – 5 360 mercenaires tués – 17 230 prisonniers
  • Russie :  18 480 soldats tués / 44 500 blessés – 323 prisonniersLa disproportion entre les pertes ukrainiennes et russes est cohérente avec la disproportion des feux appliqués par chacun des camps à son adversaire (de l’ordre de 8 pour 1 en faveur de la Russie). Jusqu’où sommes-nous prêts à aller dans cette boucherie qui aurait pu et aurait dû être évitée ?

La disproportion entre les pertes ukrainiennes et russes est cohérente avec la disproportion des feux appliqués par chacun des camps à son adversaire (de l’ordre de 8 pour 1 en faveur de la Russie). Jusqu’où sommes-nous prêts à aller dans cette boucherie qui aurait pu et aurait dû être évitée ?

Cette guerre est bien celle des Etats-Unis et n’est absolument pas dans l’intérêt des Européens qui se suicident économiquement et géopolitiquement en raison des sanctions décidées contre la Russie et qui risquent, à présent, d’être impliqués directement dans ce conflit. Le temps de la raison n’est-il pas venu avant qu’il ne soit trop tard ?

« La paix est le seul combat qui vaille d’être mené. Ce n’est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l’ordre de choisir définitivement entre l’enfer et la raison ».

(Albert Camus)

Général Antoine MARTINEZ

Négociations de paix 

Wagenknecht et Schwarzer rédigent un manifeste pour la paix

 par Danielle Bleitrach

Histoire et Société

13 février 2023

Le Spd de Scholz a ce weekend vécu une débâcle électorale de plus. Il paye la gestion complètement incohérente du pays, soumis aux pressions bellicistes d’une partie de sa coalition alors même que l’Allemagne apparait de plus en plus comme la victime principale de la stratégie de guerre par procuration des Etats-Unis et du refus de ce dernier de négocier. Ce qui est en train d’apparaître dans le pays c’est une véritable opposition de gauche à cette soumission aux USA et à l’OTAN. Un manifeste a été lancé qui lie des membres du SPD, avec ceux de die Linke, unis sur la base de la paix, une gauche est en train de surgir de celle qui n’a cessé comme en France d’être la courroie de transmission de l’OTAN, de soutenir y compris les nationalismes d’extrême-droite. Une manifestation est prévue à Berlin le 25 février. Notons que cette position se rapproche beaucoup de celle adoptée récemment par Fabien Roussel, mais qu’elle a le mérite de ne pas attendre que l’ensemble de la gauche soit d’accord, voire d’avoir demandé son avis à l’ONU, pour être à l’initiative en matière de refus de livrer des armes. C’est à ce titre un pas important. (note et traduction de Danielle Bleitrach dans histoireetsociete)

Dans un manifeste pour la paix, la politicienne de gauche Sahra Wagenknecht et la publiciste Alice Schwarzer appellent à la fin des livraisons d’armes à l’Ukraine. Elles appellent également à un rassemblement le 25 février à Berlin.

La politicienne de gauche Sahra Wagenknecht et la publiciste Alice Schwarzer ont écrit un « Manifeste pour la paix ». Au début du texte, qui a été publié vendredi sur la plate-forme de pétition change.org, il est dit qu’aujourd’hui est le 352e jour de la guerre en Ukraine.

« Si les combats continuent ainsi, l’Ukraine sera bientôt un pays dépeuplé et dévasté. »

Wagenknecht et Schwarzer ont également fait référence aux plus de 200 000 soldats et 50 000 civils qui seraient morts dans les combats. Un « peuple entier est traumatisé » :

« Et beaucoup de gens à travers l’Europe ont peur de l’escalade de la guerre. Ils craignent pour leur avenir et celui de leurs enfants. »

Wagenknecht et Schwarzer ont également déclaré que la population ukrainienne avait été « brutalement attaquée par la Russie » et avait besoin de « notre solidarité ». De l’avis des deux parties, toutefois, il ne pouvait s’agir de livraisons d’armes.

« Le président Zelensky ne cache pas son objectif. Après les chars promis, il exige maintenant aussi des avions de combat, des missiles à longue portée et des navires de guerre – afin de vaincre la Russie à tous les niveaux ? Le chancelier allemand assure toujours qu’il ne veut pas envoyer d’avions de combat ou de « troupes au sol ». Mais combien de « lignes rouges » ont déjà été franchies ces derniers mois ? »

Il est à craindre que le président russe Vladimir Poutine « lance une riposte maximale au plus tard en cas d’attaque contre la Crimée », ont déclaré Schwarzer et Wagenknecht. L’Ukraine peut gagner des batailles individuelles, mais pas une guerre contre la plus grande puissance nucléaire du monde. Par conséquent, la guerre doit se terminer à la table des négociations. Cependant, négocier ne signifie pas capituler. 

« Négocier, c’est faire des compromis des deux côtés. Dans le but d’éviter des centaines de milliers de décès supplémentaires et pire. Nous le pensons aussi, et la moitié de la population allemande le pense aussi. Il est temps de nous écouter! »

Enfin, il est dit :

« Nous appelons le chancelier à mettre fin à l’escalade des livraisons d’armes. Maintenant ! Il devrait mener une alliance forte pour un cessez-le-feu et des négociations de paix au niveau allemand et européen. Maintenant ! Parce que chaque jour perdu coûte jusqu’à 1 000 vies supplémentaires – et nous rapproche d’une 3e guerre mondiale. »

Le manifeste a jusqu’à présent été signé par 69 personnalités connues, parmi les premiers à signer l’historien Peter Brandt (fils de Willy Brandt), le politologue Christoph Butterwegge, l’éditeur du journal berlinois Holger Friedrich, la théologienne Margot Käßmann, l’ancien politicien de gauche Oskar Lafontaine, le musicien Reinhard Mey, l’homme politique Martin Sonneborn (Die PARTEI), l’homme politique Jürgen Todenhöfer, le général de brigade à la retraite Erich Vad et le politologue Johannes Varwick.

Il est également informé qu’Alice Schwarzer, Sahra Wagenknecht et l’ancien général de brigade Erich Vad ont appelé à un rassemblement à la porte de Brandebourg le 25 février.

Guerre en Ukraine

Ceux qui n’appellent pas aux négociations ne comprennent pas le danger qui menace la planète !

par le Conseil de la Paix des Etats-Unis, USA

(7 février 2023)

(Traduction «Point de vue Suisse»)

https://schweizer-standpunkt.ch/news-detailansicht-fr-gesellschaft/ceux-qui-n-appellent-pas-aux-negociations-ne-comprennent-pas-le-danger-qui-menace-la-planete.html

Alors que la guerre en Ukraine arrive à son premier anniversaire, elle est de plus en plus transformée par l’administration Biden et le «collectif occidental» en une guerre entre l’OTAN et la Russie. Le danger de se transformer en une confrontation nucléaire est imminent.

La crise des missiles de Cuba de 1962 a été un signal d’alarme en pleine guerre froide, montrant à quel point une troisième guerre mondiale nucléaire pouvait être proche. Contrairement à aujourd’hui, les deux parties ont cherché un compromis. Ils ont compris qu’un renoncement à la guerre était dans leur intérêt mutuel. Les traités sur les missiles antibalistiques et sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, aujourd’hui supprimés, ont été négociés.

A l’époque, un mouvement international pour la paix, avec un fort contingent américain, amplifiait la demande d’un monde pacifique. Ces voix sont beaucoup moins nombreuses à l’heure actuelle. Contrairement au passé, pas un seul démocrate du Congrès ne s’est exprimé en faveur de la paix, laissant le terrain idéologique de la guerre pratiquement incontesté. Il est particulièrement regrettable que des voix, y compris dans la «gauche» américaine, continuent de battre les tambours de la guerre en appelant à la poursuite de la guerre jusqu’à la victoire de l’Ukraine. Cela ne pourrait que signifier la victoire de l’OTAN dans une guerre totale avec la Russie.

Les accords de paix négociés ne sont pas tant basés sur la confiance que sur la compréhension mutuelle que l’alternative n’est dans l’intérêt d’aucune des parties. Argumenter comme certains à «gauche» que «la Russie de Poutine n’est pas digne de confiance», c’est ignorer le fait qu’aucune négociation entre parties belligérantes n’a jamais été basée sur la confiance.

La réalité indéniable à laquelle nous sommes confrontés devrait nous faire prendre conscience de l’urgence de négociations et d’une solution diplomatique à cette guerre.

La guerre en Ukraine et autour de l’Ukraine doit prendre fin. Il ne devrait y avoir aucun doute à ce sujet. Toutes les guerres se terminent soit par des négociations, soit par la victoire de l’un ou l’autre camp. Etant donné que cette guerre ne se déroule pas simplement entre la Russie et l’Ukraine, mais entre la Russie et une Ukraine soutenue par l’Occident, la première option – la victoire – est impossible. Ni la Russie (une grande puissance nucléaire) ni les puissances occidentales (dont plusieurs sont de grandes puissances nucléaires) ne toléreront une défaite, quelle qu’elle soit.

Si une victoire militaire n’est pas possible, alors la seule voie à suivre est celle des négociations. La guerre ne saurait être la réponse. L’escalade de cette guerre ne devrait pas être encouragée par ceux qui croient en la coopération internationale et en une paix véritable. Quiconque n’appelle pas à des négociations en cette période de conflit – alors que la guerre se poursuit et que la hausse du coût de la vie dans le monde s’intensifie – ne comprend pas la dangerosité de la situation dans laquelle se trouve la planète.

Ukraine War


Those Who Fail to Call for Negotiations, Fail to Understand the Dangerous Predicament That Faces the Planet!

U.S. Peace Council

January 25, 2023

At no time since the Cuban missile crisis has our world has been so close to disaster. As the war in Ukraine approaches its first anniversary, it is being increasingly transformed by the Biden administration and the “collective west” into a war between NATO and Russia. The danger of turning into a nuclear confrontation is imminent.

The 1962 Cuban Missile Crisis was a wake-up call in the midst of Cold War, warning just how close a nuclear World War III could be. Unlike today, both sides sought accommodation. They understood that a retreat from war was in their mutual interest. The Anti-Ballistic Missile and the Intermediate-Range Nuclear Forces treaties, now scrapped, were negotiated.

Back then, an international peace movement with a robust US contingent amplified the demand for a peaceful world. Such voices are much diminished now. Unlike in the past, not a single Democrat in Congress spoke out for peace, leaving the ideological terrain for war virtually uncontested. Particularly unfortunate are the voices, including some in the U.S. “left,” who continue to beat the drums of war by calling for the continuation of war until the victory of Ukraine. That would only mean the victory of NATO in an all-out war with Russia.

Negotiated peace agreements are not based so much on trust as on the mutual understanding that the alternative is in neither side’s interest. Arguing as some on the “left” do that “Putin’s Russia cannot be trusted,” disregards the fact that no negotiation between warring parties has ever been based on trust.

The undeniable reality facing us should make us all aware of the urgency for negotiations and a diplomatic solution to this war.

The war in and around Ukraine must end. There should be no dispute about that. All wars end either with negotiations or with the victory of one side or the other. Given that this war is not merely between Russia and Ukraine but is between Russia and a Western-backed Ukraine, the first option — for victory — is impossible. Neither Russia (a major nuclear power) nor the Western powers (many of them being major nuclear powers) will tolerate anything near a defeat.

If a military victory is not possible, then the only way forward is for negotiations. War is not an answer. Escalating this war should not be promoted by those who believe in international cooperation and genuine peace. Those who fail to call for negotiations in the midst of this contentious period — with the war ongoing and its impact intensifying a cost-of-living crisis around the world — fail to understand the dangerous predicament that faces the planet. 

La Russie est en train de faire le deuil de l’Europe

par Guy Mettan,* journaliste indépendant

25 janvier 2023

Source : https://www.pointdevue-suisse.ch/news-detailansicht-FR-diverS/la-russie-est-en-train-de-faire-le-deuil-de-l-europe.html

Notice introductive de l’éditeur du blog

L’article ci-après de Guy Mettan ne porte nullement sur les origines de la guerre en cours, ni sur le partage des responsabilités incombant aux uns et aux autres, mais seulement sur les conséquences économiques, sociales et culturelles que les hostilités comportent à la fin de 2022 pour les Russes, conséquences qui, à certains égards, sont opposées à celles que l’Occident enregistre chez lui et conjecture chez l’“ennemi”.

Pour le responsable de ce blog lancé en août 2014, en marge des prémices de la crise ukrainienne, le risque majeur que comporte ce conflit alors politique, puis politico-militaire, à présent militaire et en voie d’internationalisation, c’est qu’il débouche sur une IIIe Guerre mondiale, catastrophe sans précédent aucun. Bien que, dans cet article, Guy Mettan n’y fasse aucune allusion, il nous semble bien que lui aussi soit hanté par pareille perspective.

IR 28-01.2023

Mi-décembre, j’ai eu l’occasion d’effectuer un bref voyage à Moscou et à Novosibirsk, capitale de la Sibérie située à 4000 kilomètres du front ukrainien. Soit assez de temps pour évaluer l’état d’esprit de la population russe après dix mois de guerre. 

La première chose qui frappe les visiteurs étrangers, devenus rares depuis le 24 février et donc très courtisés par des Russes avides de savoir ce qu’on pense d’eux en Occident, est la quasi-normalité de la vie quotidienne.

A lire et à écouter nos médias, on a l’impression que les Russes vivent en état de siège et qu’ils passent leur temps à tenter de survivre à nos impitoyables sanctions économiques, à digérer leurs défaites militaires et à enterrer les innombrables morts que leur infligeraient les Ukrainiens victorieux. Il n’en est rien.

Normalité de la vie quotidienne

Dans les grandes villes, les rues regorgent de lumières et de décorations de Noël, les patinoires et les marchés de plein air sont pris d’assaut malgré le froid et la neige, les avenues sont toujours aussi encombrées de colonnes de 4×4 qui cherchent à se frayer un chemin dans les bouchons. Une atmosphère qui tranche avec les airs de Blitz de nos villes sans décorations, aux vitrines ternes et privées d’é clairage public par le couvre-feu imposé par la pénurie d’énergie.

Cette normalité de la vie quotidienne est confirmée par les statistiques économiques qui montrent que le recul du PNB russe se limitera à 2,5–3% pour l’année 2022, soit moins que la perte enregistrée en 2020, lors de la première année de la crise du Covid. C’est à peine si, çà et là, on remarque des boutiques fermées, essentiellement des marques de luxe, et des affiches appelant à soutenir les soldats combattant en Ukraine, seul rappel qu’une guerre est en cours sur l’une des immenses frontières du pays.

Cette normalité n’est-elle qu’apparente? Cache-t-elle un désarroi profond de la population, une sourde hostilité au «régime», une peur de s’exprimer, comme on le suggère si souvent chez nous? Je n’en ai pas eu le sentiment non plus. Au contraire, j’ai eu l’impression que les Russes avaient pris conscience que le conflit en Ukraine s’installait dans la durée et que, de bonne ou mauvaise grâce, ils allaient devoir vivre avec pendant longtemps.

Au début, l’inquiétude était palpable

Comme tout le monde, dans un premier temps, les Russes ont été surpris et sidérés par «l’opération militaire spéciale» en Ukraine, en particulier dans les très nombreuses familles – on parle de dizaines de millions de personnes – que ce conflit isolait ou coupait en deux parce qu’elles ont des attaches en Ukraine.

Puis, le premier instant de stupeur passé, on a pensé que les combats trainaient en longueur mais ne s’éterniseraient pas. Les premiers revers, fin août, et surtout la mobilisation partielle de septembre ont douché ces espoirs. Plusieurs centaines de milliers de mobilisables se sont enfuis à l’étranger – on estime leur nombre à 300 000 ou 400 000 personnes en tenant compte des retours progressifs, soit 0,3% de la population – tandis que l’inquiétude devenait palpable. Trois mois plus tard, celle-ci n’a pas disparu mais a beaucoup régressé.

Sont-ils dupes de la propagande? Je ne le crois pas non plus. Comme me le confiait une amie active dans la culture: «Depuis l’è re soviétique, les Russes savent d’instinct décoder la propagande d’Etat et faire la part des choses. Ils n’y font même pas attention. Tandis que vous, à l’Ouest, vous faites tellement confiance à vos dirigeants et à vos institutions que vous n’ê tes même pas conscients de leur propagande.» A méditer!

Dans tous les cas, la cote de Vladimir Poutine n’a pas varié depuis fin février et demeure très élevée, à environ 70% d’opinions favorables, celles-ci étant d’autant plus positives qu’on s’é loigne des trois plus grandes villes, Moscou, Saint-Pétersbourg et Iekaterinbourg.

Le soutien aux soldats sur le front s’est accru

Quant au soutien aux soldats sur le front, sinon à l’armée, il s’est même accru. Les Russes ne sont pas dupes des incompétences de certains commandants opérationnels, comme on vient de le voir dans la tragédie de Mareevka la nuit du nouvel An, ni de la gabegie logistique qui ont marqué les premières semaines de guerre et ils n’ont pas ménagé leurs critiques en privé.

Ils savent qu’ils doivent d’abord compter sur eux-mêmes et ne rien attendre de l’Etat. Dans tous les cas, les mauvaises nouvelles n’ont pas altéré leur soutien à l’opération militaire et ils sont désormais derrière leurs soldats, quitte à court-circuiter les hiérarchies.

Il est remarquable de constater que, du fin fond des villages sibériens, des centaines de civils se mobilisent pour organiser des convois et apporter des vivres, du chocolat, des habits chauds, des colis aux soldats qui se battent contre les forces de l’OTAN en Ukraine. De même, à l’inverse des conscrits urbains réticents, le nombre d’engagés volontaires n’a pas faibli.

Depuis l’automne, la majorité des Russes est en train de comprendre que leur pays ne se bat pas seulement contre les nationalistes ukrainiens mais contre l’Occident tout entier regroupé sous la bannière de l’OTAN et qu’il s’agit d’un combat vital, existentiel et de longue haleine pour la survie de leur mode de vie et de leur culture, même si celui-ci a été engagé à leur corps défendant.

La stratégie de l’armée a été revue

Cette prise de conscience que la guerre et les hostilités allaient durer a d’abord été le fait de l’armée, que les difficultés rencontrées sur le terrain ont obligée à se restructurer en profondeur. La stratégie a été complètement revue.

On est passé du mode offensif improvisé au mode défensif organisé, sur des lignes de défense plus sûres, avec un commandement unifié et intégré, sous les ordres d’un général expérimenté, Serguei Sourovikine, et avec l’objectif d’é pargner au maximum les ressources humaines et les équipements. A la retraite désordonnée de la région de Kharkov a succédé le retrait ordonné et réussi des troupes et du matériel de la région de Kherson. On a investi dans les drones et les petites unités mobiles.

Les lignes logistiques ont été revues et les divisions de réserve réorganisées de façon à pouvoir réagir aux urgences. Le gros de l’armée se retranche et délègue ses capacités offensives aux forces de Wagner, aux pilotes de drones et aux lanceurs de missiles contre des cibles névralgiques ukrainiennes, en riposte aux attaques ukrainiennes contre les objectifs civils russes – sabotage du gazoduc Nord Stream, attentat contre le pont de Crimée, bombardements d’hôpitaux, d’é coles et de supermarchés dans le Donbass, avec des civils tués tous les jours mais jamais rapportés dans nos médias.

La Russie a pris acte de la stratégie de l’OTAN et des Etats-Unis exprimée par le chef du Pentagone Lloyd Austin le printemps dernier, à savoir l’affaiblissement du pays jusqu’à ce qu’il ne puisse plus se relever, et cherche à la retourner en sa faveur.

En se concentrant et en ménageant ses troupes, elle laisse les Ukrainiens et les mercenaires de l’OTAN épuiser leurs forces et leur matériel jusqu’à ce qu’ils se fatiguent. Plus que sur le Général «Hiver», ce sont sur les Généraux «Temps» et «Espace» que mise désormais l’armée russe. Comme Souvorov et Bagration en leur temps, elle a appris à ses dépens que patience valait mieux que force et que rage si l’on voulait vaincre dans la durée.

Des effets positifs pour l’économie russe

Les milieux économiques ont eux aussi très rapidement pris conscience que l’ensemble des circuits de production et d’é changes devait être revu de fond en comble après la fermeture des frontières imposée par le partenaire naturel européen.

On a beaucoup glosé en Europe sur les oligarques et leur supposée opposition à Poutine. En se trompant complètement. Les oligarques, même s’ils ont déploré le déclenchement des hostilités, ont rapidement compris que la séquestration de leurs biens et de leurs avoirs bancaires en Europe et aux Etats-Unis – yachts, résidences de luxe, suites à Courchevel et à Saint-Moritz – et les sanctions personnelles prises contre eux en faisaient des parias pour l’Occident et qu’ils seraient condamnés à tout perdre au cas où il leur prendrait la fantaisie de faire défection.

Les sanctions et l’exclusion de la Russie du système de paiement SWIFT et des relations bancaires occidentales ont même eu un effet positif pour l’é conomie russe puisque, pour la première fois, elles ont coupé court à l’é vasion des capitaux – environ 100 milliards de dollars par an – qui saignait l’é conomie depuis trente ans. Désormais, il faudra y réfléchir à deux fois avant de déposer son argent dans une banque suisse, européenne ou américaine.

Depuis quelques mois, l’é conomie russe cherche donc à s’adapter aux nouvelles circonstances. Les circuits de distribution du pétrole, du gaz, des minerais, du blé et des engrais sont réorganisés vers l’Asie, la Chine, l’Inde, l’Iran, les Emirats et l’Arabie saoudite (à cause de l’OPEP+ et des facilités bancaires). On fait de même pour les circuits d’importation.

Les importations parallèles se mettent en place pour approvisionner l’industrie en pièces détachées, en supraconducteurs et en puces, et la population en appareils ménagers, en vêtements, en produits de luxe, en ameublement et autres biens de consommation courante que l’é conomie russe ne sait pas produire en grandes quantités.

L’exemple de la Biélorussie, coutumière des sanctions et qui a malgré tout enregistré la meilleure performance européenne dans sa gestion du Covid grâce à son système de soins et à ses ressources pharmaceutiques, montre que l’industrie russe est parfaitement capable de relever ce défi à condition de réorienter les investissements vers la reconversion industrielle et de cesser de se reposer paresseusement sur la rente pétrolière et gazière.

Les succès spectaculaires enregistrés par l’agriculture, l’industrie agro-alimentaire, le secteur aérospatial et les industries d’armement à la suite des sanctions prises contre elles en 2014 militent aussi dans ce sens.

Cette reconversion prendra quelques années et les experts s’attendent à deux ou trois ans de contraction et de vaches maigres avant que la croissance reparte à la hausse. Pas de quoi paniquer, surtout que l’on pourra compter sur des ressources énergétiques inépuisables et très bon marché, contrairement à l’Europe qui devra payer au prix fort ses importations d’énergie.

Attaques massives contre le peuple russe et sa culture

Qu’en est-il de l’é tat d’esprit de la population? Comment s’adapte-t-elle à cette nouvelle donne? Pour résumer en une phrase, je dirais qu’elle fait contre mauvaise fortune bon cœur. Il faut savoir que la plupart des Russes ont très mal vécu les mesures prises contre la culture russe et contre eux-mêmes en Occident.

Ils se sont sentis profondément humiliés par la censure des artistes, des musiciens, des sportifs et des scientifiques, par l’annulation des colloques académiques, la cessation brutale des échanges en dépit des liens personnels développés depuis longtemps, la réécriture de l’histoire concernant la contribution russe dans la victoire contre le nazisme, la culture d’annulation et même de destruction de monuments entreprise non seulement en Ukraine mais dans les pays baltes et en Pologne. Quand on a compté 26 millions de morts dans la lutte contre le nazisme, il est intolérable d’apprendre que c’est le débarquement en Normandie (50 000 morts) qui a été l’é vénement majeur de la Deuxième Guerre mondiale.

Cet ostracisme et ces injustices ont laissé des traces amères dans la mémoire vive des Russes, que la fermeture des frontières et l’interdiction de facto de voyager en Occident à la suite de la suppression des vols directs ont encore aggravées.

Ils peuvent comprendre que l’Europe critique l’intervention armée en Ukraine, mais ne voient pas pourquoi l’Europe qui se prétend civilisée s’en prend à Tchaikowski, à Tchekov, à des chefs d’orchestre et à la population en général, dans un mouvement de bannissement inédit dans l’histoire. De même, la censure de l’ensemble des médias russes dans un espace européen qui se targue de défendre ses «valeurs» démocratiques en Ukraine passe pour de la duplicité.

Chez nous, tout cela semble relever de détails, que nous nous sommes d’ailleurs empressés d’oublier. Mais pas pour les Russes qui s’é taient enfin sentis membres de la grande famille européenne depuis la chute du Rideau de fer. Ce rejet de la Russie et des Russes, en tant qu’ê tres humains, depuis février dernier est douloureusement vécu.

Le pays, notamment dans les villes, est en train d’apprendre dans la douleur qu’il doit faire le deuil de l’Europe parce que celle-ci en a décidé ainsi au terme d’une guerre, certes malheureuse et regrettable, mais qui n’a pourtant rien à voir avec l’ampleur des ravages suscités par les agressions armées de l’Occident en Afghanistan et en Irak, en Syrie, en Libye, au Yémen ou encore dans l’est du Congo (6 millions de victimes totalement ignorées par les médias occidentaux). Cette hypocrisie est très mal ressentie.

Les premières failles étaient apparues à la conférence de Munich en 2007 et lors de la guerre imprudemment déclenchée par Saakhachvili en Géorgie en 2008, puis en 2014, avec le putsch de Maidan qui a renversé le président démocratiquement élu Yanoukovitch, la mise à ban des russophones du Donbass et la vague de sanctions prises en réponse à l’annexion de la Crimée. Mais ces divergences étaient restées d’ordre politique et géopolitique et ne s’é taient pas encore transformées en guerre culturelle, humaine, civilisationnelle. Désormais la coupure est nette, profonde, radicale.

Le fossé idéologique entre l’Europe et la Russie semble presque infranchissable

Jusqu’ici les élites dirigeantes russes avaient joué sur les deux tableaux, empruntant à l’Occident les principes du capitalisme néolibéral, son culte du progrès matériel et ses institutions démocratiques tout en cultivant l’idée d’une Russie indépendante, souveraine et libre de développer ses valeurs propres – inspirées de la tradition conservatrice – et de choisir ses partenaires. La guerre a rendu cette double voie obsolète. Elle oblige à faire des choix clairs.

Du point de vue russe, l’engagement croissant de l’OTAN derrière l’Ukraine et les propos de l’ancien président ukrainien Porochenko et de l’ancienne chancelière Angela Merkel, confirmés par François Hollande, sur le fait que ni l’Ukraine ni l’OTAN n’avaient l’intention de respecter les accords de Minsk et que ceux-ci n’é taient qu’un stratagème destiné à donner du temps à l’Ukraine pour se réarmer, ont rendu toute perspective de négociation aléatoire puisqu’il est devenu évident que ni la parole donnée ni les traités signés par les Occidentaux n’avaient de quelconque valeur.

D’autre part, le fossé idéologique entre l’Europe et la Russie s’est creusé au point de devenir presque infranchissable. Les Russes, comme le reste du monde arabo-musulman, asiatique et africain, comprennent de moins en moins l’é volution sociétale occidentale. Le libéralisme prôné par l’Occident parait de plus en plus comme un subterfuge destiné à masquer ses ingérences permanentes dans les affaires des autres.

Les dérives identitaires basées sur le sexe et le genre, l’antiracisme poussé jusqu’au racialisme, la dictature de minorités de plus en plus minces et extrémistes sur la majorité, le révisionnisme historique imposé par la «cancel culture», la multiplication des sexes préconisée dès le plus jeune âge, le wokisme et le rejet de la culture humaniste traditionnelle, tout cela est de plus en plus étranger à la culture russe et du sud global en général.

Le changement de ton des discours de Poutine depuis l’é té dernier est d’ailleurs très significatif à cet égard. Pour la première fois le président russe a fait des allusions directes aux valeurs traditionnelles, critiquant la mode occidentale des changements de sexe, des mères porteuses, du parent 1 et parent 2 pour désigner le père et la mère, militant pour un retour aux valeurs humanistes traditionnelles face aux tentations transhumanistes en vogue chez nous, et plaidant pour un monde multipolaire dans lequel chaque pays et chaque culture auraient des droits égaux à préserver leurs valeurs sans craindre d’ê tre bombardés ou envahis parce que leurs choix déplairaient à l’Occident.

Pour une majorité de Russes, cette séparation est vécue comme un drame car elle met fin à leur rêve d’ê tre reconnus comme des Européens à part entière. Ils font le deuil de l’Europe dans la douleur mais sont résignés à en porter le fardeau quel qu’en soit le poids.

* Guy Mettan est politologue et journaliste. En 1980, il a commencé sa carrière de journaliste à la Tribune de Genève et en a été le directeur et rédacteur en chef de 1992 à 1998. De 1997 à 2020, il a dirigé le «Club Suisse de la Presse» de Genève. Il travaille actuellement comme journaliste indépendant et auteur.