Neutre ou pleutre ?

La Suisse face au conflit russo-ukrainien

par Ivo Rens

Quelle qu’ancienne que soit la neutralité suisse, elle a toujours postulé la prise de distance à l’égard des belligérants. Nous devrions dire presque toujours car, lors de la guerre de l’OTAN contre la Yougoslavie en 1999, le Conseil fédéral avait déjà transigé…

Mais, depuis l’invasion de l’Ukraine, ces mois derniers, Berne a fait beaucoup plus que transiger. Rappelons les faits.

Le 28 février 2022 le Conseil fédéral, qui est tout à la fois chef d’Etat et gouvernement suisse, prit une décision sans précédent aucun. Nonobstant la neutralité postulée par l’histoire, la Constitution fédérale et la prudence, il adhéra au principe des sanctions de l’Union européenne les 23 et 25 février à l’encontre de la Russie coupable d’agression… tout en réitérant ses bons offices ! 

Par la suite, les occidentaux ayant continuellement élargi la palette des sanctions, Berne annonça vouloir examiner la compatibilité des certaines de ces mesures avec notre Etat de droit et notre ordre juridique. Et, par une Ordonnance du 4 mars 2022, la Confédération reprit sans autre toutes les sanctions décrétées par les Etats-Unis et les Etats membres de l’OTAN à l’encontre de la Russie, de ses firmes, de plusieurs de ses nationaux ainsi que de leurs biens, ce qui lui valut les félicitations du Président Biden.

La double volte-face du Conseil fédéral a de quoi surprendre. Comment se fait-il que, en quelques jours, il soit passé d’une position certes déjà bien éloignée de la neutralité à un ralliement inconditionnel aux décisions prises par Washington ? La seule réponse plausible c’est que les Etats-Unis ont dû exercer sur Berne une pression énorme, sans précédent.

Il appartiendra aux historiens de la seconde moitié du siècle, lorsque les archives des affaires étrangères seront rendues publiques, de révéler en quoi exactement consistaient ces pressions, si elles comportaient des menaces particulières d’ordre économique, commercial ou autres et si elles incluaient aussi des interventions particulières auprès de certains de nos conseillers fédéraux. 

Tentons de faire le bilan du double ralliement de Berne aux sanctions occidentales qui constituent, bien sûr, un double reniement de la neutralité. Sur le plan international, la Suisse a perdu toute possibilité d’intercéder à l’ONU, comme dans d’autres instances internationales, en faveur d’une solution pacifique aux hostilités qui, en réalité, sont en cours non seulement depuis le 28 février 2022 mais depuis 2014. Surtout, elle n’est plus en mesure d’offrir aux belligérants ses bons offices comme elle l’avait fait par le passé en maintes occasions, notamment en 1962 pour mettre fin à la guerre d’Algérie qui durait depuis 1954. De fait, la politique étrangère de la Suisse va à vau-l’eau depuis une vingtaine d’années et sa position actuelle sur le conflit russo-ukrainien n’en est que le plus spectaculaire aboutissement. En 2022 la Suisse a déserté non seulement sa neutralité mais aussi et surtout son rôle traditionnel au service de la paix. Pour éviter pareille défection, il aurait fallu que notre Conseil fédéral et chacun de ses membres fussent intransigeants sur l’indépendance et la souveraineté au sens rigoureux du droit international public et sussent résister aux pressions importunes. 

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